Conscience et désir
Oṃ!
Lors de notre dernière séance sur le chapitre 2 de la Bhagavad-gītā, nous avons réfléchi aux fruits de la connaissance.
Au verset 54, Arjuna demande à Śrī Kṛṣṇa de décrire la personne qui est स्थितप्रज्ञा, sthitaprajñā, dont la connaissance est inébranlable, et समाधिस्था, samādhisthā, fermement établie dans sa nature. Comment parle-t-elle ? Comment s'assied-elle ? Comment se déplace-t-elle ?
Śrī Kṛṣṇa commence par décrire l'aspect समाधिस्थ, samādhistha, fermement établi dans le Soi, au verset 55 :
« Lorsqu'une personne abandonne mentalement tous ses désirs et est satisfaite en son for intérieur, par sa propre nature, ô Arjuna, alors il est dit de cette personne que sa connaissance est inébranlable ».
Nous avons vu au verset 53 que समाधि, samādhi, signifie ici que le mental, au lieu d'être tourné vers le monde et balloté par des expériences en tous genres, est enraciné dans sa source, la conscience qui révèle toutes les pensées – y compris la pensée « je ». Cette conscience originelle est également nommée आत्मा, ātmā, le soi/Soi, et nous employons parfois pour la désigner des termes comme « notre véritable nature », « notre essence », « notre identité réelle » et d'autres variations sur le même thème.
Śrī Kṛṣṇa décrit ici le premier trait de la personne dont l'esprit est absorbé dans le Soi : आत्मन्येवात्मना तुष्ट:, ātmanyevātmanā tuṣṭaḥ, satisfait·e en son for intérieur et par sa propre nature, comblé·e en soi et par soi.
Cette perspective provoque peut-être chez certain·e·s une résistance ; mais loin d'évoquer un repli sur soi ou le rejet du monde, les mots de Śrī Kṛṣṇa nous rappellent que tout sentiment de plaisir ou de joie, indépendamment de son objet et son intensité, se manifeste en nous et toujours sous la même forme. Pourtant nous désirons une multitude de choses...
C'est pourquoi, à la première ligne, Śrī Kṛṣṇa va peut-être encore un peu plus loin : प्रजहाति कामान्सर्वान्, prajahāti kāmān-sarvān, cette personne abandonne tous les désirs.
L'existence d'un désir présuppose la notion de séparation : d'un côté l'objet de mon désir, et de l'autre moi-même ; tous mes efforts visent à annuler cette séparation, à me réunir avec l'objet, l'expérience ou le statut que je désire. Or, comme nous l'avons vu au verset 16 (sous Notes sur le dernier cours), la connaissance est la réalisation que tout existe dans le soi, c'est-à-dire la disparition totale de la notion (erronée) de séparation.
On peut d'ailleurs le vérifier sur la base de notre expérience : lorsque nous ressentons du plaisir, l'objet qui nous a permis de l'éprouver nous devient souvent indifférent, voire même déplaisant. Seule nous importe la satisfaction du désir – des désirs, les uns après les autres.
Dans cet état de quête perpétuelle qui est le nôtre, il est certain que notre mental ne peut être stable, et encore moins se dissoudre dans sa source ; mais au fur et à mesure que les pratiques de présence à soi comme le karma-yoga, la dévotion, le yoga ou la méditation nous permettent de ressentir une félicité sans objet, nos désirs portent davantage sur les expériences intérieures et nous incitent donc à approfondir cette recherche.
Ce cercle vertueux culmine un jour dans la réalisation de notre véritable identité, décrite comme infinie et heureuse. Une telle personne est dite स्थितप्रज्ञा, sthitaprajñā, dotée d'une connaissance inébranlable.
Au contact de la félicité absolue, tous les désirs disparaissent, mais la nature de cette personne peut s'exprimer par l'action, généralement vertueuse et désintéressée, de la même manière que la conscience originelle se manifeste sous la forme de la multitude.
Mais ce qui nous concerne davantage, c'est que les traits de la personne qui est fermement établie dans le Soi peuvent nous aiguiller dans nos choix. Or il n'est pas question pour des personnes qui cheminent de faire taire tous leurs désirs en espérant qu'ils se tiennent tranquilles et qu'il deviendra ainsi possible de goûter la félicité absolue de leur véritable nature. Non.
Il s'agit plutôt pour nous de distinguer nos besoins de nos désirs, d'accéder aux premiers et à ceux des seconds qui sont :
légitimes, comme un certain niveau de sécurité matérielle et affective,
modérés, notamment au niveau matériel afin de pouvoir se ménager du temps pour d'autres activités (notamment spirituelles),
peu contraignants, c'est-à-dire qui ne deviendront pas des exigences, mais resteront au stade de préférences.
Enfin, nous pouvons relier nos désirs à l'absolu, qui prend la forme d'une entité qui nous transcende, comme la société ou la nature, ou du divin si cela est pertinent pour nous. Pour ce faire, nous pouvons prendre le temps de réfléchir à la manière dont nos besoins et désirs sont satisfaits pas seulement par nous-mêmes ou nos actions individuelles, mais surtout par le monde dans lequel nous nous inscrivons.
C'est une façon de commencer à se détacher de nos désirs !
Śrī Kṛṣṇa poursuit aux versets 56 (que nous avons vu) et 57 avec la description de la vie intérieure de la personne qui est fermement établie dans le soi. Ce sera le sujet d'une prochaine lettre...
Lors de notre prochain atelier, je vous demanderai vos impressions sur la notion que joie et plaisir émanent toujours de nous. Cela correspond-il à votre expérience ? Lorsque vous y pensez au quotidien, est-ce que cela change quelque chose pour vous ?
Je serais aussi curieuse de savoir si vous avez essayé d'approfondir votre pratique du karma-yoga. Avez-vous trouvé une façon de formuler pour vous ce rapport à l'action ? Quand y pensez-vous ? Est-ce que ça fait une différence ?
Puis nous aborderons le rapport du/de la sage aux expériences mentales avec le verset 57 et sensorielles avec le verset 58...
Et si vous avez raté la dernière lettre...
Ajoutez sophie@bhugita.com à vos contacts.
Récupérez la newsletter de la semaine dernière dans vos spams.
Allez faire un tour sur la chaîne YouTube de Bhūgītā ✨
Informations pratiques
Retrouvez tous les lieux et horaires des cours sur cette page.
Conseils
Veillez à arriver 5 à 10 minutes avant le début de l'atelier.
Apportez votre livre, les supports de cours et ce dont vous aurez besoin pour prendre des notes, si vous avez envie de prendre des notes.
À très vite :)
Sophie