Dieu fait homme
Oṃ !
Au début du chapitre 4 de la Bhagavad-gītā, Śrī Kṛṣṇa révèle à Arjuna qu'il est pas un être humain comme les autres. Bien que ce mot ne soit pas prononcé par Śrī Kṛṣṇa, il est en effet traditionnellement considéré comme un avatar.
Lorsque Śrī Kṛṣṇa affirme avoir transmis l'enseignement de la connaissance du Soi au Soleil, il ne se place pas du point de vue de l'incarnation que nous lui connaissons, contemporaine d'Arjuna : il parle au nom d'un être pour qui la transmigration des âmes n'a pas de secret (verset 5) et qui est donc omniscient.
De surcroît :
अजोऽपि सन्नव्ययात्मा भूतानामीश्वरोऽपि सन् |
प्रकृतिं स्वामधिष्ठाय सम्भवाम्यात्ममायया ||
ajo’pi sannavyayātmā bhūtānām īśvaro’pi san
prakṛitiṃ svām adhiṣhṭhāya sambhavāmyātma-māyayā
« Bien qu'étant en réalité libre de toute naissance, le Soi immuable et le seigneur de tous les êtres vivants, par ma propre puissance, je prends existence. »
Dans la première moitié de ce 6e verset, on pourrait penser qu'il s'agit d'une description de ब्रह्मन्, brahman, la réalité absolue :
अजः, ajaḥ, non né : intemporelle, immatérielle, notre véritable nature n'est jamais associée à un corps (bien que les apparences nous poussent à croire le contraire) et ce qui se produit au niveau de l'organisme et la psyché auxquels nous nous identifions généralement ne nous affecte en réalité jamais ;
अव्ययात्मा, avyaya-ātmā, de nature immuable ou le Soi immuable : étant hors du temps et de l'espace, nous ne subissons jamais le moindre changement dans notre nature essentielle ; pour le concevoir autrement, nous pouvons dire que prendre pour soi toute forme de modification est une erreur ;
भूतानामीश्वरः, bhūtānam-īśvaraḥ, le seigneur de tous les êtres : le Soi est ainsi nommé car il est ce qu'il y a de plus intime, de plus personnel, de plus inexprimable au cœur de chaque être ; le Soi est la plus simple expression de ce que nous sommes. Il est अंतर्यामी, antaryāmī, ce qui nous gouverne intérieurement, plutôt que par la peur ou la contrainte extérieure comme le Dieu des religions ; le Soi est la source de toute notre force, de toute notre puissance d'action, de volition et de pensée.
Si Śrī Kṛṣṇa s'exprime ici comme le Soi, ses mots peuvent être compris comme la déclaration de l'être réalisé, du libéré vivant qui s'identifie parfaitement à l'existence-conscience-félicité absolues, de l'éveillé pour qui le monde matériel, subtil et causal s'est évanoui comme un rêve.
Néanmoins, dans la deuxième partie de ce verset, Śrī Kṛṣṇa affirme qu'il mobilise la nature, donc la manifestation causale, subtile et matérielle, et naît dans de son propre chef, par sa propre puissance – ou par sa propre illusion, comme un cinéaste viendrait jouer une scène dans un film qu'il réalise.
Ici, Śrī Kṛṣṇa déclare être simultanément le potier (le Créateur), l'argile avec laquelle il crée (माया, māyā, l'illusion cosmique), et occasionnellement, l'une de ses réalisations (en l’occurrence, l'être apparemment humain qui a la forme de Śrī Kṛṣṇa).
Śrī Kṛṣṇa ne serait autre que Dieu fait homme, omniscient, omniprésent, tout puissant dans un corps que rien ne distingue a priori des autres.
Pourquoi l'advaïta védanta, si intellectuel, fait-il appel à un concept qui exige tant de foi ?
Premièrement :
si l'on estime que la conscience et non la matière est la base de l'expérience que nous appelons l'univers (ce que nous pourrons explorer par ailleurs) et
si l'on définit Dieu comme étant la conscience qui préside à l'ensemble de l'univers physique (la matière), subtil (les concepts, les émotions...) et causal (l'infini des possibles non manifesté)...
... alors il est relativement plausible que cette conscience se manifeste sous la forme qu'elle souhaite pour accomplir sa volonté. C'est en tout cas ce que le christianisme propose pour expliquer le statut messianique du Christ et, ce qui a de l'importance comme nous le verrons plus loin, de son message.
Ce phénomène semble universel à travers tous les systèmes religieux et spirituels.
Deuxièmement :
यदा यदा हि धर्मस्य ग्लानिर्भवति भारत |
अभ्युत्थानमधर्मस्य तदात्मानं सृजाम्यहम् || 7||
yadā yadā hi dharmasya glānir-bhavati bhārata
abhyutthānam adharmasya tadātmānaṁ sṛjāmyaham
« À chaque fois que décline l'ordre cosmique et qu'augmente le chaos, je me crée moi-même. »
Ce verset extrêmement célèbre en Inde entraîne inévitablement une question : quand reviendra-t-il ? N'est-il pas temps ?
Pour nous, généralement, l'ordre cosmique est synonyme d'harmonie entre les êtres, de santé, de prospérité. Et il est vrai que notre monde est assez loin d'être à la hauteur de ces attentes.
Mais est-ce vraiment ce que Śrī Kṛṣṇa affirme ?
Selon vous, le but de la vie selon Śrī Kṛṣṇa (ou le prophète/personnage messianique de votre choix) est-il de vivre en paix, en harmonie, en bonne santé, dans l'abondance de tout ce qui est juste et bon ?
Pour poser cette question autrement, les personnages dont la renommée traverse les âges sont-ils les auteurs d'avancées technologiques, sociales, politiques, scientifiques ayant permis d'améliorer notre confort matériel ? Ces avancées sont-elles un but en soi ?
Si nous célébrons les progrès scientifique, politique, social et technologique, c'est parce que nous les concevons comme des moyens d'atteindre le bonheur. Toutefois, le bonheur ultime, qui découle de la connaissance de notre véritable nature, ne dépend d'aucun facteur matériel ou intellectuel. Le but de notre vie n'est atteint que par la connaissance du Soi ; le facteur déterminant est donc l'accès à cet enseignement.
Cet enseignement s'articule en deux volets :
Les pratiques spirituelles et/ou religieuses : ce sont les actions et les valeurs qui préparent l'individu à la connaissance du Soi et qui aiguisent son désir de se connaître et/ou de connaître Dieu ;
L'enseignement spirituel qui permet de découvrir que nous faisons un avec le divin, dont l'essence, comme la nôtre, est la réalité éternelle, et par cela d'atteindre un bonheur stable, ineffable, inaliénable.
Lorsque les êtres qui aspirent à redécouvrir leur union avec l'absolu en sont empêchés, alors s'incarne parmi nous une manifestation du divin. Son rôle consiste à régénérer l'enseignement spirituel en le rendant compréhensible, accessible et pur, mais aussi à initier un renouveau en termes de pratiques, afin que les personnes sincères puissent se préparer à recevoir l'enseignement spirituel.
La notion d'avatar intervient donc pour nourrir notre foi dans cet enseignement.
Mais pas seulement.
Le Soi étant imperceptible et indescriptible, et l'intellect étant limité par nature, il n'est pas possible de formuler, et encore moins de transmettre cette connaissance.
Alors, comment se fait-il qu'on en parle ?
C'est en réponse à cette énigme que l'advaïta védanta propose une autre énigme : la notion d'avatar.
L'avatar, rappelons-le, est la conscience qui préside à tous les intellects et à l'ensemble de l'univers, c'est-à-dire l'intellect total – il a sans doute par définition l'intellect le moins limité qui soit. Par ailleurs, le divin n'a pas notre ego qui brouille la justesse de l'enseignement.
La connaissance du Soi jaillit de la bouche de Śrī Kṛṣṇa totalement pure.
À ton avis, la venue d'un avatar est-elle imminente ? Pourquoi ?
Quelle différence peut-il y avoir entre l'être réalisé et l'avatar ?
La distinction que nous opérons entre Dieu et brahman sont-elles claires ?
N'hésite pas à répondre pour que nous puissions approfondir le sujet dans une prochaine lettre.
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Exceptionnellement, il n'y aura pas cours du jeudi 8 décembre au mercredi 14 décembre inclus. Nous reprenons jeudi 15 décembre.
L'organisation de la deuxième partie de décembre sera déterminée avec chaque groupe en fonction des disponibilités des participant·e·s.
À très vite :)
Sophie