Dissonance cognitive et libération
Oṃ!
En fait, le concept de libération n'est pas très populaire.
Pourtant, le terme « libération » signifie disparition de toute souffrance et obtention du bonheur. On pourrait donc penser que c'est un but universel.
Mais si vous parlez plutôt de bien-être, de santé physique et mentale, d'acquérir pouvoirs et richesses ou de sauver le monde, vous gagnerez immédiatement un vaste public.
D'une certaine manière, le bien-être est une forme de libération, comme la santé – disparition de la souffrance, obtention du bonheur. Quant aux pouvoirs et à la richesse, ils nous libèrent de nos limitations matérielles. Enfin, la charité s'inscrit dans un effort d'éradication des obstacles au bonheur pour tous les êtres, et sans doute aussi de surmonter notre impuissance, de glorifier la personne humaine que nous sommes.
On peut aussi voir cette question autrement.
Si mon corps est une partie très importante de mon identité, alors la libération pour moi se situera au niveau de ma santé, de ma forme.
Si je me définis davantage comme un être émotionnel, alors la libération prendra la forme de sentiments agréables ou de sérénité.
Si ma vie est pour moi essentiellement une série d'événements et d'expériences (अहं भोक्ता, ahaṃ bhoktā), alors la libération selon moi sera également une expérience.
Si je suis avant tout dans l'action (अहं कर्ता, ahaṃ kartā), alors les pouvoirs ou une puissance d'action illimitée sera ma libération.
Si pour moi la réalité se situe au niveau de ce monde, alors ma propre libération dépendra de la santé, la prospérité, la puissance de tous les êtres.
Qu'y a-t-il de plus naturel ?
Souvent, un cheminement spirituel débute avec une recherche de mieux-être.
Souvent, au niveau de ces différentes couches de notre personnalité – corps, énergie, mental, intellect et union avec le reste du monde (dans lesquelles les plus averti·e·s reconnaîtront les पञ्चकोशा, pañca-kośā, cinq enveloppes) –, ce mieux-être est atteint.
Cette expérience est capitale. Elle nous force à nous concentrer sur nous-même. Généralement, cela nous donne envie d'aller plus loin, car, à ce stade, même si nous sommes plus en forme que jamais, nous avons l'impression que notre plein potentiel n'est pas encore atteint.
Ayant exploré ce qu'un champ d'expérience peut nous offrir, nous devenons aptes à le transcender.
Les quatre आश्रम, āśramā, stades de la vie, ou encore les quatre पुरुषार्था, puruṣārthā, objectifs humains sont là pour ça (voir les lettres précédentes).
Mais aujourd'hui, j'aimerais continuer d'explorer le verset 6 du chapitre 3 de la Bhagavad-gītā, où il est question de méditation. Śrī Kṛṣṇa nous y donne un avertissement :
कर्मेन्द्रियाणि संयम्य य आस्ते मनसा स्मरन् |
इन्द्रियार्थान्विमूढात्मा मिथ्याचार: स उच्यते || 6||
karmendriyāṇi sanyamya ya āste manasā smaran
indriyārthān-vimūḍhātmā mithyācāraḥ sa ucyate
« La personne qui garde la posture de méditation mais reste mentalement absorbée dans les choses de ce monde a une conduite fausse, elle est dans l'erreur. »
Les commentateurs parlent d'hypocrite. C'est pour le moins un bel exemple de dissonance cognitive.
Pour bien comprendre ce verset, il faut déjà définir le concept de méditation. Pour la plupart d'entre nous, méditer signifie effectivement s'asseoir dans une posture particulière et concentrer nos pensées pour davantage de calme. C'est une pratique excellente, qui peut avoir de nombreux effets thérapeutiques. Et il est tout à fait normal que notre esprit vagabonde ; le contraire serait étonnant.
इन्द्रियार्था, indriyārthā, les objets des sens – le carburant de notre feu mental et intellectuel. Y a-t-il une seule pensée qui ne soit pas liée à des perceptions ? Même les pensées les plus abstraites se réfèrent de près ou de loin aux objets des sens.
La pratique à laquelle Śrī Kṛṣṇa fait référence ici n'est un exercice ni de concentration ni de pleine conscience – qui au demeurant constituent une excellente préparation pour ce qui suit.
Un exercice de méditation védantique consiste à examiner chaque aspect de mon expérience auquel je m'identifie, du plus matériel au plus subtil, pour repérer et éliminer toute fausse notion et reconnaître ce qui correspond réellement à ma réalité subjective :
Je porte mon attention sur mon environnement. Je remarque que je suis témoin de cet environnement. J'existe donc indépendamment de cet environnement (à appliquer aussi aux personnes et objets qui nous sont chers).
Je porte mon attention sur mon corps. Je remarque que je suis témoin de ce corps. J'existe donc indépendamment de ce corps.
Je porte mon attention sur mes processus mentaux, ressentis, émotions, idées qui se succèdent. Je remarque que je suis témoin de ces processus. J'existe donc indépendamment de ces processus.
Je porte mon attention sur ce témoin imperceptible, sans forme ni identité, toujours égal à lui-même. Je reconnais qu'il est animé par une conscience et une existence présentes en chaque pensée, émotion, ressenti, perception et objet.
Cette irréductible existence-conscience présente en chaque chose n'est pas un objet de connaissance. C'est donc ma véritable nature. Lorsque mon attention est portée à cette dimension imperceptible, ineffable, inconcevable de mon expérience, alors je ne pense plus aux objets – je suis présent·e au soi en chaque chose.
En fonction de notre expérience et de notre connaissance du védanta, la méditation védantique peut prendre plusieurs formes. S'il semble encore un peu tôt pour se lancer, on peut se contenter de continuer d'étudier et de commencer à pratiquer une forme de « méditation » adaptée au tempérament de chacun·e (concentration, pleine conscience, visualisation, japa, etc.)...
Mais surtout, le karma-yoga nous prépare à la méditation et à la connaissance (verset 7 et suivants).
Alors comment faire du karma-yoga ?
Comment agir de manière désintéressée alors même que nous devons nous occuper de nous-mêmes, de nos proches, de notre communauté ?
Comment concilier notre besoin de prospérité avec l'action désintéressée ?
Quelle est la nature fondamentale de l'action, lorsque nous ne la considérons pas principalement comme un moyen d'obtenir ce que nous désirons ?
Lors de notre prochaine séance, nous approfondirons ces questions grâce à l'éclairage de Śrī Kṛṣṇa sur le juste positionnement dans l'action compte tenu de notre place dans l'univers, à compter du verset 9 du troisième chapitre de la Bhagavad-gītā.
Informations pratiques
Retrouvez tous les lieux et horaires des cours sur cette page.
Exceptionnellement, le cours sur la Bhagavad-gītā à l'ADRA, 134 rue de Thèbes, est déplacé du dimanche 10 au samedi 9 avril à 11h45.
Week-end de Pâques, dimanche 17 et lundi 18 avril : pas d'atelier Bhagavad-gītā ; le cours en distanciel sur Tattvabodha du dimanche soir est déplacé au lundi soir.
Conseils
Veillez à arriver 5 à 10 minutes avant le début.
Apportez votre livre, les supports de cours et ce dont vous aurez besoin pour prendre des notes, si vous avez envie de prendre des notes.
À très vite :)
Sophie