Douleur et réalisation du soi
Oṃ!
Nous avons tout pour nager dans le bonheur...
Et pourtant l'insatisfaction n'est jamais très loin.
Insatisfaction vis-a-vis de notre situation matérielle ou affective, de notre bien-être physique et mental, ou, pire, de notre progression spirituelle.
Après des années ou des décennies de pratique, les douleurs du corps et les peines morales nous éjectent du niveau de conscience que nous avions péniblement atteint au prix d'intenses efforts et de sacrifices personnels.
Mais la promesse de la vie spirituelle n'est-elle pas la cessation des souffrances ? Alors pourquoi continue-t-on de souffrir ?
Au verset 17 du chapitre 3 de la Bhagavad-gītā, Śrī Kṛṣṇa nous rappelle les caractéristiques de l'être réalisé : se consacrant entièrement au soi, trouvant l'aboutissement de tous ses désirs exclusivement dans le soi, éprouvant une pleine satisfaction seulement dans le soi, cette personne n'a plus aucune action à réaliser.
Ces mots font écho au verset 55 du chapitre 2, où Śrī Kṛṣṇa décrit, à la demande d'Arjuna, le trait principal de la personne qui est स्थितप्रज्ञ, sthitaprajña, fermement établie dans la connaissance : आत्मन्येवात्मना तुष्टः, ātmanyevātmanā tuṣṭaḥ, pleinement satisfait·e dans et par le soi uniquement.
Śrī Kṛṣṇa pousuit au verset 18 : « Cette personne n’a rien à obtenir ni par l’action ni par l’inaction ; elle ne dépend d’aucun être pour quoi que ce soit. »
Quel contraste par rapport à notre expérience face aux difficultés de la vie !
Où est passée la souffrance de cette personne ? Doit-on en conclure que l'être réalisé n'a pas de corps, ou que son corps, obéissant à des lois différentes, ne connaît plus la douleur ? Que son mental a disparu ou que l'univers ne lui livre plus d'expériences désagréables ?
Pour s'assurer que nous sommes sur la bonne voie, reprenons ce questionnement depuis le début.
Tous les parcours spirituels se ressemblent.
Notre personnalité de départ – au stade où nous ne nous intéressons pas à la spiritualité – est décrite en un mot au verset 16 : न्द्रियाराम, indiryārāma, nous sommes immergé·e·s dans les sensations, les expériences, les objets des sens.
Nous vivons pour les plaisirs et les accomplissements personnels ; face aux contrariétés et aléas de la vie, nous trouvons refuge dans divers excès qui stimulent les sens et le mental (substances diverses et variées dont le sucre et l'alcool, achats compulsifs, sport à outrance, relations toxiques et autres sensations fortes).
Puis, par miracle, nous prenons conscience de notre interdépendance avec des êtres qui ne font pas partie de notre cercle immédiat – nous nous éveillons aux faits sociaux, à la fragilité de la nature. Nos choix tiennent alors de plus en plus compte des conséquences de nos actions sur autrui et le monde. Souvent, cela s'accompagne d'un éveil à l'amour du divin, à l'omniprésence de Dieu, alors que nous n'étions peut-être pas croyant·e·s auparavant. Dans tous les cas, nous nous mettons alors au service de quelque chose de plus vaste que notre individualité. C'est le stade du désintéressement, du कर्मयोग, karma-yoga.
Le désespoir, hélas, garde encore son mordant. Il y a même une double peine : non seulement nous rencontrons toujours des difficultés, mais nous nous en voulons terriblement de ne pas conserver l'équanimité digne de l'être exemplaire que nous sommes désormais. Quand viendra enfin l'Éveil, le vrai, le point de non-retour, le salut éternel ?
À ce sujet, nous pouvons évoquer les mots de Śrī Kṛṣṇa – समत्वं योग उच्यते, samatvaṁ yoga ucyate, le yoga, c'est l'équanimité (2.48) – et la précision de Śrī Śaṇkarācārya dans son commentaire : quelle que soit l'issue de l'action désintéressée, que celle-ci purifie notre mental jusqu'à permettre la réalisation du soi ou pas, acceptons-la gracieusement.
Mais avec un peu de chance et beaucoup d'application, la pratique de l'action désintéressée transformera effectivement notre mental. Un mental purifié est capable de concentration, de subtilité pour saisir des concepts abstraits et de souplesse pour surmonter ses préjugés – des qualités nécessaires pour recevoir un enseignement spirituel.
Si le mental est bien préparé et l'enseignement juste, nous atteignons alors la connaissance du soi, le stade de satisfaction totale dans et par le soi, l'émancipation personnelle caractérisée par l'indépendance vis-a-vis du monde et des situations. La personne qui a atteint ce but n'a plus rien à obtenir ni quoi que ce soit dont elle souhaite se débarrasser.
D'un point de vue extérieur, les diagnostics médicaux et les deuils continueront de se succéder, mais cette personne se conçoit uniquement comme le soi – existence, conscience et félicité absolues.
Quelle prise les phénomènes du monde ont-ils sur la pure existence au sein de laquelle ils semblent se manifester ?
Comment les aléas de la vie pourraient-ils affecter la conscience absolue ?
En chaque expérience, il n'y a que le soi, la réalité absolue, qui est notre véritable nature – le reste est un songe qui jamais ne nous touche.
Au verset 19, Śrī Kṛṣṇa conclut : « Par conséquent, continue de toujours faire ton devoir sans attachement ; car c’est en agissant avec détachement qu’on atteint le but ultime. »
Chose rare, les mots clefs, « détachement » et « faire/agir », sont répétés dans ce verset.
Mais comment agir avec détachement ?
Les grands principes du karma-yoga ont été énoncés au verset 47 du chapitre 2 et repris dans une lettre dont je vous recommande la (re)lecture.
Śrī Kṛṣṇa évoque des principes universels ; il nous revient de nous les approprier pour les mettre en œuvre.
C'est justement l'exercice que je vous propose de faire avant notre prochaine séance et la prochaine lettre – choisir un domaine de votre vie et une manière de pratiquer l'action désintéressée.
Comment vous y prendrez-vous ? Quels résultats obtiendrez-vous ?
J'ai hâte de recevoir vos témoignages ! Ils nous permettront, je l'espère, de mieux comprendre les mots de Śrī Kṛṣṇa sur la place de l'action dans l'univers au fil de ce chapitre 3.
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Sophie