🌊 Le désir de bonheur est-il un obstacle ?
Oṃ!
« J'ai envie d'atteindre le bonheur, n'est-ce pas un désir ? »
Lorsqu'il nous arrive une chose que nous jugeons indésirable, nous souffrons ; lorsque nos aspirations ne sont pas satisfaites, nous souffrons également. Ainsi, le décalage entre nos aspirations et ce que le monde nous offre entraîne un mal-être.
L'évitement de la souffrance et l'aspiration au bonheur sont instinctifs et universels : on les retrouve dans toutes les cultures humaines ainsi que chez les animaux et les végétaux.
C'est sans doute pourquoi nous éprouvons un doute légitime, voire un blocage, quand un enseignement religieux ou spirituel dénonce le désir comme source de souffrance et érige le renoncement au monde en voie spirituelle. Au premier abord, ces idées peuvent sembler violentes.
Elles sont en effet contraires à notre intuition, à notre intime expérience : l'aspiration au bonheur et à l'amour est la force de vie la plus fondamentale et peut-être la plus puissante de nos existences. Nous tendons vers le bonheur et l'amour comme les plantes vers la lumière, comme le feu produit lumière et chaleur, comme les planètes du système solaire tournent autour du Soleil.
Le bonheur et l'amour sont notre nature, affirme la non-dualité. Rien ne peut nous en dissocier. C'est notre état par défaut, notre point d'équilibre.
Ainsi, notre « désir » de bonheur n'est peut-être pas tant un désir superflu que la manifestation de notre nature.
Ce serait absurde de la brider !
Pour autant, il faut se rendre à l'évidence : les moyens mis en œuvre dans notre quête de bonheur ne sont que partiellement satisfaisants. Les résultats laissent souvent à désirer, sont éphémères, le prix à payer est élevé. Nous souffrons et ça nous semble superflu, injuste, voire inacceptable.
Peut-être ne concentrons-nous pas nos efforts au bon endroit.
Dans la dernière partie du chapitre 2 de la Bhagavad-gītā, Śrī Kṛṣṇa insiste sur l'importance de cultiver un rapport au monde qui favorise la paix intérieure. Compte tenu de la nature imprévisible et incontrôlable du quotidien, la sérénité n'est possible que si notre état intérieur ne dépend pas de facteurs extérieurs.
Facile, non ?
Non. Mais tous les yogas nous soutiennent sur cette voie :
Le karma-yoga (l'action désintéressée) nous aide à nous détacher des fruits de nos actions et à agir pleinement dans le moment présent : avec la pratique, notre état intérieur dépend moins des résultats que nous obtenons.
Avec le bhakti-yoga (la dévotion), nous cultivons le lien avec « le grand tout », Dieu, la présence éternelle et immuable : nous avons un plus grand sentiment de stabilité matérielle et affective quelle que soit notre situation.
Le rāja-yoga (les postures, exercices de respiration, de concentration et la méditation), ou la pratique du calme : plus nous découvrons la joie en notre for intérieur, plus nous avons envie de la cultiver et de nous détacher de ce qui nous entrave.
Et finalement, le jñāna-yoga (la voie de la connaissance) qui révèle que notre existence n'est absolument pas affectée par l'apparente manifestation cosmique qu'est notre expérience du monde.
Au verset 70, Śrī Kṛṣṇa note que la personne qui reste extravertie, qui consacre ses efforts à atteindre quelque chose d'extérieur à elle-même, ne peut pas connaître la paix.
Inversement, il compare la personne qui atteint la paix à un océan qui, empli de toutes parts par les fleuves qui viennent s'y jeter et les pluies qui s'y déversent, demeure अचलम्, acalam, immobile, imperturbable. Ainsi, lea sage accueille sereinement en son sein tous les désirs qui, au contact du Soi, s'évaporent sans l'affecter.
Śrī Kṛṣṇa réitère au verset 71 que l'abandon des désirs et ambitions est une condition préalable à la sérénité, précisant que la personne que ceux-ci n'affectent plus est निर्ममः, nirmamaḥ, sans possessivité et निरहङ्कारः, nirahaṃkāraḥ, dénuée d'égo.
Ayant réalisé son indépendance totale vis-a-vis du corps et du mental, l'interconnexion intime de toutes choses, comment cette personne pourrait-elle éprouver la pensée « ceci est à moi, je vais m'en servir pour ma satisfaction personnelle » ? Sachant que sa véritable identité est la lumière qui anime les intellects de tous les êtres, comment pourrait-elle affirmer : « on doit me respecter car je suis plus savant·e que d'autres » ?
Cet état d'absence de possessivité et d'égo, affirme Śrī Kṛṣṇa au dernier verset du chapitre 2, le verset 72, est synonyme de connaissance de la réalité absolue, ब्राह्मी स्थितिः, brāhmī sthitiḥ, d'enracinement en Brahman. L'ayant obtenue, il est impossible de retourner à l'état d'ignorance.
Pourtant, on peut lire, entendre et penser ceci :
« Je suis quelque peu fasciné·e par les sensations extérieures et l'agitation du monde qui me fait parfois dériver au gré des vents. »
Là réside en effet la différence entre l'intuition éphémère qui, telle un éclair dans la nuit, pourfend notre ignorance dans un instant de lucidité, et la connaissance stable, profondément ancrée, inébranlable, présente à tout instant, qui est la nature de l'être réalisé et qui exige souvent la préparation évoquée dans notre lettre du 3 mars.
En outre, pour la personne qui a atteint la sagesse, tout est réalité absolue ; le corps et le psychisme que nous, spectateurs·ices extérieur·e·s, semblons percevoir ne font pour cette personne ni plus ni moins partie d'elle que son environnement. Ayant cessé de concentrer ses objectifs autour de sa personne ou de considérer son corps et son psychisme comme des moyens de parvenir à ses fins égoïstes, elle peut mettre son existence limitée au service du monde. L'égo, la fonction d'identification, le corps et toutes les ressources auxquelles il est associé deviennent alors de simples instruments.
C'est l'état de जीवन्मुक्त, jīvanmukta, libéré·e vivant·e.
Mais après la mort ?
Śrī Kṛṣṇa conclut : ayant eu la fulgurante intuition de sa véritable nature, la personne qui persévère sur le chemin spirituel peut réaliser pleinement sa véritable nature même au moment de son dernier souffle.
En effet, l'identification au corps et l'attachement à certaines personnes ou choses peuvent, de notre vivant, freiner la connaissance. Ces liens s'atténuant parfois à l'approche de notre dernière heure, nous pouvons alors connaître la libération dans la félicité du Soi.
Cela illustre combien, contrairement à tous les désirs qui sont changeants et éphémères, l'aspiration au bonheur qui est notre essence reflète un besoin d'accomplissement fondamental, un retour à notre état naturel.
Pour préparer la prochaine séance, je vous propose de relire ce deuxième chapitre et/ou les lettres envoyées depuis le début de l'année (ici et ici). Nous pourrons ainsi clarifier les points restés obscurs et revoir brièvement ce que nous avons étudié dans la Bhagavad-gītā jusqu'à présent.
N'hésitez pas à envoyer vos retours et questions par e-mail !
En attendant, une fois n'est pas coutume, vous pourrez retrouver l'enregistrement audio de la séance de lundi 7 mars sur YouTube :
Informations pratiques
Retrouvez tous les lieux et horaires des cours sur cette page.
Conseils
Veillez à arriver 5 à 10 minutes avant le début.
Apportez votre livre, les supports de cours et ce dont vous aurez besoin pour prendre des notes, si vous avez envie de prendre des notes.
À très vite :)
Sophie