Le divin est-il crainte ou douceur?
Dans un monde plein de contradictions, comment concevoir le tout-puissant ?
Oṃ !
La période des fêtes est de retour, avec ses paradoxes stupéfiants :
ombre et lumière,
passé et présent,
consumérisme et aspirations spirituelles,
fêtes et solitude,
retrouvailles et introspection,
douceur de retrouver les siens et difficiles histoires de famille,
abondance et dénuement,
extraversion et introversion…
Ajouteriez-vous quelque chose à cette liste ?
Vivez-vous aussi cette période comme paradoxale ?
Les paradoxes que révèle cette période sont l’expression exacerbée de la position de l’être humain, ni totalement animal ni toujours divin, obnubilé par le matériel et motivé par des aspiration affectives, intellectuelles, spirituelles.
Nous retrouvons ces paradoxes dans l’image du Christ, dans la douceur de sa naissance qui transfigure l’univers tout entier malgré de rudes conditions matérielles et politiques au cœur de l’hiver.
Ces contradiction sont aussi naturellement incarnées par les avatars des traditions védiques et indiennes : Śrī Rāma incarne un dharma si intransigeant qu’il lui arrache son père et le sépare de sa femme bien-aimée ; Śrī Kṛṣṇa encore enfant vainc des démons, séduit des bergères et n’hésite pas à chaparder du beurre par pure gourmandise.
Est-ce que cela ne nous encouragerait pas à nous réconcilier avec nos propres contradictions et celles de notre entourage ?
Si l’univers est pétri de paradoxes, qu’est-ce que cela nous révèle sur l’intelligence de laquelle il jaillit ?
Aujourd’hui, j’aimerais évoquer Prahlāda, un jeune garçon qui vécut il y a fort longtemps. En un mot, Prahlāda était la dévotion personnifiée. Ses pensées étaient constamment occupées par le divin et il ne parlait que pour partager le nectar de la dévotion tout autour de lui.
Prahlāda était aussi un prince, le fils d’un terrible empereur démoniaque, un asura du nom de Hiraṇyakaśipu, extrêmement hostile au divin. Assoiffé de pouvoir, il avait, par des pratiques ascétiques, obtenu de ne pouvoir être tué :
ni par quelque chose ni par quelqu’un issu de la Création,
ni à l’intérieur ni à l’extérieur,
ni dans les cieux ni sur terre,
ni de jour ni de nuit,
ni par un être humain ni par un animal,
ni à main nue ni par une arme.
Le signe distinctif d’un asura, en effet, est sa forte identification au corps ; et son souhait le plus cher, l’immortalité.
Hiraṇyakaśipu voyait comme un affront personnel le rejet des valeurs matérialistes par Prahlāda et son attrait pour le divin. Incapable de transformer son fils le jeune garçon Prahlāda, l’empereur Hiraṇyakaśipu essaya de l’éliminer par la noyade, le feu, l’ensevellissement, et en ordonnant à des animaux et à d’autres asuras de le détruire.
Jamais Prahlāda ne laissait la crainte le gagner et les tentatives de son père Hiraṇyakaśipu restaient infructueuses. Prahlāda transmit même sa dévotion aux enfants de son école.
Submergé de rage, le puissant Hiraṇyakaśipu demanda à son fils comment il osait le défier ainsi. Prahlāda répondit que toute force, y compris celle par laquelle Hiraṇyakaśipu terrorisait l’univers, n’était jamais que l’expression de la puissance divine et l’exhorta à prendre refuge à son tour dans le tout-puissant.
En hurlant, Hiraṇyakaśipu dit à Prahlāda que, si le divin étaient effectivement omniprésent, Dieu devrait se manifester dans les colonnes de son palais, et porta dans l’une d’entre elles un coup suffisamment puissant pour la réduire en poussière.
Ô surprise, de choc de l’épée de Hiraṇyakaśipu contre le pilier produisit un bruit tel qu’il semblait que l’univers avait explosé. Sonné, Hiraṇyakaśipu recula ; la colonne, qui était restée intacte, s’ouvrit.
Il en sortit une forme qui jamais n’avait été vue et jamais plus ne se manifestera – mi-lion, mi-humaine, gigantesque avec ses dents immenses et son abondante crinière : Nṛsiṃha ou Narasimha.
Hiraṇyakaśipu reconnut en Nṛsiṃha une incarnation de la puissance divine – non issue de la Création, ni animale, ni humaine. Terrorisé, il l’attaqua ; mais Nṛsiṃha se saisit de lui et l’entraîna dans l’embrasure d’une porte du palais impérial – ni à l’intérieur, ni à l’extérieur – et le plaça sur ses genoux – ni dans les cieux, ni sur terre. C’était le crépuscule – ni le jour, ni la nuit. Ni à main nue, ni avec une arme, mais avec ses griffes, Nṛsiṃha éventra Hiraṇyakaśipu, mettant ainsi fin au calvaire de Prahlāda.
Notons que Nṛsiṃha porte un boyau de Hiraṇyakaśipu autour du cou et que Prahlāda n’est pas du tout impressionné. On voit Śeṣa (ou Ananta), le serpent sur lequel repose Viṣṇu, et les attributs habituels de Viṣṇu.
Nṛsiṃha s’excusa auprès de Prahlāda d’avoir tant tardé, vérifia que Prahlāda n’avait pas le moindre bleu ni la plus petite égratignure, et le sacra empereur sur le trône de son père. Il lui offrit un vœu – le cœur de Prahlāda était si pur qu’il demanda simplement qu’il ne soit jamais obscurci par le désir, ce à quoi Nṛsiṃha répondit : « Tu as atteint tout ce qu’il est possible d’atteindre. »
Prahlāda avait une dernière préoccupation : son père, à cause de son comportement, était-il condamné à un triste destin ?
Nṛsiṃha le rassura sur ce point. En effet, l’intelligence cosmique est, par essence, impartiale. Elle est présente de la même manière auprès de chacun·e.
On peut la reconnaître avec douceur et gratitude comme on peut lui en vouloir. Ce que l’on déteste occupe nos pensées – tant que nos pensées sont occupées par l’omniprésent, l’âme de tous les êtres, quelle que soit notre attitude envers elle, nous en sommes proches.
D’ailleurs, la haine, la colère et la crainte se manifestent souvent avec beaucoup de force et d’attachement. Peu importe la forme de notre attachement au divin tant que celle-ci est intense : son fruit est la libération.
Ainsi, quels que soient notre disposition, notre parcours, etc., si nous gardons l’absolu présent à notre esprit, nous pouvons réaliser le soi.
N’est-ce pas un paradoxe ?
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Sophie