Le « je » en question
Oṃ!
Face à la détresse et au dilemme d'Arjuna sur le champ de bataille, Śrī Kṛṣṇa évoque la plus haute sagesse védique. Au verset 16 du chapitre 2 de la Bhagavad-gītā, nous lisons ces mots :
नासतो विद्यते भावो नाभावो विद्यते सतः |
उभयोरपि दृष्टोऽन्तस्त्वनयोस्तत्त्वदर्शिभिः ||
nāsato vidyate bhāvo nābhāvo vidyate sataḥ
ubhayorapi dṛiṣṭo'ntastvanayostattvadarśibhiḥ
L'irréel n'a [jamais] d'existence et le réel n'est [jamais] non existant. L'essence des deux est perçue par les personnes qui voient la réalité.
Les deux versets suivants sont également capitaux, car Śrī Kṛṣṇa déclare au verset 17 l'existence d'un principe omniprésent et hors du temps :
अविनाशि तु तद्विद्धि येन सर्वमिदं ततम् |
विनाशमव्ययस्यास्य न कश्चित्कर्तुमर्हति ||
avināśi tu tadviddhi yena sarvam idaṁ tatam
vināśam avyayasyāsya na kaścit kartum arhati
Sache que ce qui est immanent à toutes choses est indestructible. Tu ne peux causer la destruction de ce qui est immuable.
Par définition, ce qui est omniprésent, immanent à l'univers, doit à chaque instant être présent en chacun·e. C'est ce que précise Śrī Kṛṣṇa au verset 18 :
अन्तवन्त इमे देहा नित्यस्योक्ताः शरीरिणः |
अनाशिनोऽप्रमेयस्य तस्माद्युध्यस्व भारत ||
antavanta ime dehā nityasyoktāḥ śarīriṇaḥ
anāśino'prameyasya tasmādyudhyasva bhārata
Il est dit que ces corps, dans lesquels ce principe éternel, indestructible et imperceptible s'incarne, ont une fin. Donc bats-toi, ô Arjuna !
Ces trois versets forment le cœur des enseignements des upaniṣads.
Le verset 16 affirme l'existence d'un absolu non duelle, une présence unique qui par nature est singulière, hors du temps et de l'espace, mais également immanente à l'ensemble de l'univers manifesté et non manifesté. C'est ce que nous désignons par le terme ब्रह्मन्, brahman, réalité, essence, véritable nature.
Ce verset précise que le statut d'existence absolue ne s'applique pas à ce qui est transitoire. Pour le dire autrement, ce qui a un début et une fin n'existe jamais vraiment. C'est pourquoi nous parlons du monde comme étant illusoire.
Au verset 17, il est indiqué que la réalité absolue est invariable et présente en toutes choses. Enfin, au verset 18, la pleine pertinence de cet enseignement est explicitée : les corps et les personnalités par lesquels nous identifions nos proches, le corps et le mental que nous pensons être sont d'éphémères manifestations de ce principe d'existence absolue.
Ces versets nous révèlent donc notre véritable nature.
Mais il est loin d'être évident que notre véritable nature est affranchie de notre corps et notre mental.
Qu'un principe universel et éternel existe, c'est une idée largement répandue et à laquelle nous souscrivons sans trop de difficultés (nous verrons plus tard pourquoi il serait erroné de dire que rien n'existe, ce qu'on entend parfois).
Sur ce point, vous pouvez consulter les Notes sur le dernier cours du 14 octobre et la lettre du 21 octobre.
En revanche, la notion que nous ne sommes pas le corps nous semble plus difficile à accepter. Nous préférons nous définir comme un agrégat de réalité absolue + 1 appareil psychique + 1 corps.
Pourquoi remettre cela en question ?
Toute forme de souffrance, tout sentiment de limitation s'immisce dans nos vies par les notions « je suis mon corps », « je suis mes pensées et mes émotions » : les difficultés relationnelles, matérielles, sociales, les dilemmes, les regrets, les conflits, les peurs prennent toujours leur source au niveau de nos expériences dans le monde, donc par l'intermédiaire de notre existence en tant que personne physique et morale.
En acceptant que nous ne sommes ni ce corps ni ce mental, nous découvrons une liberté et une plénitude inouïes.
Prêt·e ?
Le secret réside dans le « je ». Présent à chaque instant de nos vies, ce « je » ne varie pas en fonction des humeurs ni de notre forme physique – ni d'aucune autre expérience. « Je » est constant, invariable.
Les états du corps, des émotions et des pensées se succèdent.
« Je » les observe et, s'il s'y identifie pleinement, il reste la plupart du temps hors de cause, ni affecté ni remis en question.
« Je » est source de confusion, car il pose sur chaque expérience son étiquette : « je » sens, « je » vois, « je » pense – là où c'est le mental qui sent, l’œil qui voit et l'intellect qui pense – « je » s'approprie tout. (Découvrez sa traître nature ici.)
Or « je » est une pensée. Une pensée animée par une existence infaillible et illuminée par une conscience imperceptible. « Je » s'approprie cette existence-conscience. À travers ce « je » naissent les expériences.
« Je » est une illusion dans l'existence-conscience.
La difficulté est peut-être que nous essayons de détacher le « je » du corps et du mental qu'il s'est appropriés – mais ce « je », ce corps et ce mental ont en commun le même niveau d'irréalité. Ils forment un tout indissociable.
Le discernement entre le réel et l'irréel s'opère au contraire entre la réalité qui est notre véritable nature d'une part, et l'irréel, le complexe corps-mental-« je » d'autre part.
En reconnaissant notre propre nature, nous traversons à tout jamais l'océan des devenirs.
À propos de devenirs, après avoir exposé brièvement cette philosophie très élevée, Śrī Kṛṣṇa incite Arjuna à passer à l'action. Cela peut sembler paradoxal – et ne manque pas de susciter une certaine confusion chez Arjuna. C'est sur ses mots d'incompréhension que s'ouvrira le chapitre 3, où seront précisés les moyens de se préparer à reconnaître et assumer notre véritable nature.
Pour le dernier atelier, des participantes avaient préparé des questions auxquelles d'autres participantes ont répondu sur le vif. Ces riches échanges nous ont permis de revoir les notions décrites par Śrī Kṛṣṇa tout au long du chapitre 2 de la Bhagavad-gītā et de mesurer le chemin parcouru.
Et vous, avez-vous relu les versets couverts jusqu'à présent ? Avez-vous des questions, des remarques ? N'hésitez pas à me les transmettre !
Au passage, si vous songez à vous procurer un exemplaire de la Bhagavad-gītā, la version commentée par Swami Chinmayananda, publiée aux éditions Trédaniel, est de nouveau disponible au format poche en librairie (plus d'informations ici).
Lors de notre prochaine séance, nous aborderons le chapitre 3 de la Bhagavad-gītā. Nous verrons notamment qu'Arjuna n'est pas pleinement convaincu par l'argumentaire de Śrī Kṛṣṇa et se pose les mêmes questions que nous...
Bhūgītā sur YouTube
L'enregistrement audio de la séance du lundi 7 mars reste disponible sur la chaîne YouTube de Bhūgītā.
Holi ce vendredi 18 mars
C'est le grand festival des couleurs, la journée où, l'espace de quelques instants, les hiérarchies entre les Indien·ne·s disparaissent. Il est fortement conseillé de maculer absolument tout le monde de couleurs vives pour que l'année s'annonce pleine de saveurs !
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Sophie