Les tenants et les aboutissants de l'action désintéressée
Oṃ !
Au chapitre 1 de la Bhagavad-gītā, Arjuna exprime son désarroi : la guerre qu'avec ses frères il a déclarée aux membres de leur propre clan lui paraît soudainement bien vaine.
Elle ne lui permettrait d'atteindre aucun des buts de la vie :
अर्थ, artha, la sécurité matérielle
Arjuna, le benjamin, n'a que faire du royaume, des richesses et du pouvoir que lui confèrerait l'accession au trône de son frère aîné.
काम, kāma, le plaisir
Quand bien même il remporterait la victoire, qui semble incertaine car l'armée ennemie est supérieure en nombre à la sienne, Arjuna ne profiterait pas des plaisirs offerts par son royaume paisible et prospère – quelle joie pourrait-il encore éprouver après avoir anéanti ses maîtres, ses parents, ses frères ?
धर्म, dharma, la vertu
La responsabilité du meurtre de ceux qui l'ont élevé, du veuvage de leurs épouses et le chaos qui s'ensuivrait, culminant dans la disparition de dynasties, est universellement condamnable. Dans la culture d'Arjuna, ces crimes se traduiraient, à la suite de son existence terrestre, par un long séjour en enfer. Cette guerre qui lui semble contraire à l'intérêt général serait donc également contraire à son intérêt personnel.
Il ne lui reste donc qu'à poursuivre le quatrième objectif, le but ultime de toute vie : मोक्ष, mokṣa, la libération – ce qui signifie, selon lui, qu'il doit tout quitter, abandonner ses responsabilités dans le monde pour se consacrer exclusivement à la contemplation de sa véritable nature.
Au début du 2e chapitre, Arjuna s'en remet à Śrī Kṛṣṇa, puis, découragé, se tait.
Leur relation étant devenue celle d'un maître et de son disciple, Śrī Kṛṣṇa appelle immédiatement Arjuna à exercer plus de discernement dès sa première déclaration : नानुशोचन्ति पण्डिताः, nānuśocanti paṇḍitāḥ, les sages n'ont point de chagrin – si tu étais vraiment si sage, ô Arjuna, tu ne te lamenterais point.
Cette constatation marque le début de l'enseignement et est le fil rouge de la Bhagavad-gītā.
Le chagrin et la confusion étant les symptômes de l'ignorance de notre véritable nature, Śrī Kṛṣṇa transmet d'abord à Arjuna l'enseignement du Soi (pour un aperçu, nos lettres sur ces versets sont encore accessibles ici).
Sans transition apparente, Śrī Kṛṣṇa répond aux inquiétudes d'Arjuna concernant son dharma, expliquant qu'il commettra un grand péché s'il fuit le champ de bataille : c'est l'enseignement du karma-yoga, l'action désintéressée.
À la demande d'Arjuna, Śrī Kṛṣṇa expose ensuite les caractéristiques de l'être réalisé – satisfait·e dans et par le Soi, iel n'est tributaire d'aucun objet, d'aucune expérience (voir nos lettres #15 , #16 et #18).
Ayant dispensé un enseignement qu'il juge manifestement exhaustif, Śrī Kṛṣṇa cesse de parler ; c'est la fin du chapitre 2.
L'absence de transition, au chapitre 2, entre l'enseignement de notre véritable nature et la pratique de l'action désintéressée semble ne pas avoir échappé à Arjuna, qui pose à son ami la question suivante : si la connaissance de soi est supérieure à l'action, pourquoi me pousses-tu à commettre un acte si terrible ?
S'il suffit pour atteindre le but ultime de l'existence de connaître notre véritable nature, pourquoi agir dans le monde et, a fortiori, le faire d'une façon si pénible pour nous ? (Voir notre lettre #23.)
Ainsi s'ouvre le chapitre 3.
La pensée védique décrit deux voies : la vie en tant que membre contributeur·ice de la société et le renoncement (verset 3). Pour autant, il ne suffit pas de s'abstenir d'agir pour réaliser le Soi ; et l'action n'est pas un obstacle à la libération (verset 4). D'ailleurs, il serait illusoire de penser qu'on pourrait s'abstenir d'agir... ou de penser échapper aux expériences (réincarnations) en cessant simplement de planter les graines de l'action, qui fructifient sous la forme de plaisirs et peines (verset 5).
Śrī Kṛṣṇa poursuit : plutôt que faire semblant de méditer alors que nous ne sommes pas encore prêt·e·s (verset 6), mieux vaut s'engager dans l'action (verset 7 et 8) sans impulsivité (lettre #24) ni attachement – dans l'esprit de यज्ञ, yajña, sacrifice (verset 9, lettre #26).
Cette attitude désintéressée est le seul moyen pour l'être humain de s'inscrire dans l'ordre cosmique de manière harmonieuse (versets 10 à 15, lettres #27, #30 et #31).
Les personnes qui acceptent de mettre de côté leur satisfaction immédiate pour embrasser l'action désintéressée, ayant ensuite réalisé le Soi, ne dépendent plus de facteurs extérieurs pour leur satisfaction (versets 16, 17 et 18, lettre #32).
C'est pourquoi l'action désintéressée est la voie spirituelle la plus appropriée dans le cas d'Arjuna (et probablement pour nous aussi ; d'ailleurs, en ce qui nous concerne, la question est surtout de savoir comment trouver notre voie, voir notre lettre #33).
Les exemples de personnes qui ont réalisé le Soi tout en restant dans l'action ne manquent pas, et Śrī Kṛṣṇa lui-même, l'incarnation de la connaissance, agit, notamment parce que, comme toustes les sages, il a une responsabilité d'exemplarité (versets 19 à 26).
C'est d'ailleurs un signe d'ignorance que penser qu'on agit ou subit les actions d'autrui (versets 27, 28 et 29, voir notre lettre lettre #34).
Notre devoir, en tant qu'aspirant·e spirituel·le, est en premier lieu de faire de notre libération notre priorité. Une fois que celle-ci est claire, nous pouvons prendre refuge en quelque chose de plus vaste que nous – quelque chose qui représente à nos yeux l'ensemble de l'univers – et, sans attentes, sans appropriation et sans fièvre, agir (verset 30).
Il est nécessaire d'adopter cette attitude pour atteindre la libération (versets 31 et 32, lettre #38), d'autant que nous agissons conformément à notre personnalité (verset 33, lettre #39). Celle-ci est à distinguer de nos attirances et aversions, ainsi que de notre devoir – une distinction importante car nos préférences nous détournent de la voie spirituelle en nous incitant à prendre des responsabilités qui ne nous reviennent pas ou à éviter celles qui nous échoient ; en un mot, à être dans l'action intéressée (versets 34 et 35, lettre #41).
Ce devoir, justement, est bien difficile à suivre : quand bien même nous savons ce que nous devons faire, nous en sommes souvent comme empêché·e·s. Pourquoi ? Au verset 36, Arjuna en demande à Śrī Kṛṣṇa la raison de cette tendance qui si souvent nous fait courir à notre perte.
Śrī Kṛṣṇa explique que notre tendance à l'extraversion, à la frustration – aussi appelée désir – vient contrer nos bonnes intentions (verset 37). Cette tendance nous fait perdre tout discernement et annihile même nos efforts de connaissance de Soi (versets 38 et 39, lettre #42).
Nous subissons les attaques de nos désirs par le biais de nos sens incontrôlés, de notre mental indiscipliné et de notre intellect complaisant (verset 40). Pour enfin agir à la hauteur de nos idéaux, l'intellect doit être éduqué, le mental raffermi, les sens canalisés (versets 41 et 42, lettre #44).
Mais pour vivre réellement, totalement libres des désirs superflus et donc des souffrances, la réalisation du soi est notre seule issue (verset 43). Ce passage souligne l'importance de la discipline personnelle pour parvenir à la réalisation du Soi – l'effort de maîtrise de soi est indispensable pour s'enraciner fermement dans la connaissance et traverser l'océan des souffrances.
Ainsi se conclut le chapitre 3 de la Bhagavad-gītā consacré à l'action désintéressée.
À la lecture des versets, de ce résumé et de certaines des lettres publiées sur ce chapitre, as-tu des questions ? Y a-t-il des sujets que tu souhaiterais approfondir ?
Śrī Kṛṣṇa quant à lui a encore quelques précisions à ajouter sur la nature de l'action : en effet, si l'action désintéressée est le moyen d'atteindre la libération, l'expérience montre que, même « après la connaissance », l'action reste possible. Comment ? Pourquoi ? Comment le concevoir ?
C'est à ces questions, entre autres, que nous espérons répondre au cours des semaines à venir.
Les ateliers
Tattvabodha
Cycle de 25 cours sur Tattvabodha, La connaissance de la réalité, de Śri Śaṅkarācārya : les mercredis à 13h sur Zoom (ID de réunion : 892 3734 6459 ; code secret : 397445)
Ce texte intitulé La connaissance de la réalité est un manuel des concepts védiques.
Il aborde les qualifications de l'aspirant·e spirituel·le, les cinq éléments, les qualités fondamentales de la nature (guṇa) et leurs liens avec les sens et les organes d'action, les trois corps...
L'étude de ce texte permet de comprendre les grands principes du sāṃkhya, pour une vision plus subtile et approfondie du védanta, mais aussi du yoga, de l'ayurvéda et des autres sciences védiques.
La première séance a eu lieu mercredi 5 octobre, mais il sera possible de nous rejoindre en cours de route, tout au long du mois d'octobre.
Vidéo de présentation de Tattvabodha : https://youtu.be/v-8XF5JMZt0
Exemple de cours : https://youtu.be/pe14lBI9-_4
Bhagavad-gītā
Rencontres hebdomadaires autour de la Bhagavad-gītā :
mardi à 10h30 sur Zoom (ID de réunion : 896 0916 0032, code secret : 972280)
jeudi à 18h30 aux Beaux-Arts chez Yogahimsa au 22 rue Saint-Léon à Montpellier
dimanche à 18h30 sur Zoom (ID de réunion : 896 0916 0032, code secret : 972280)
Support de cours conseillé : la Bhagavad-gītā commentée par Swami Chinmayananda, publiée aux éditions Trédaniel (ISBN : 978-2-8132-2089-9).
En complément : la Bhagavad-gītā de Colette Poggi, le Mahabharata abrégé de Jean-Claude Carrière et le film du même nom réalisé avec Peter Brooke.
Upadeśa sāra
Cours sur L'essence de l'enseignement de Shri Ramana Maharshi :
lundi à 14h30 dans l'Écusson, chez les Amoureux de Candolle au 19 rue Lallemand à Montpellier
mardi à 18h30 aux Beaux-Arts chez Yogahimsa au 22 rue Saint-Léon à Montpellier
vendredi à 19h sur Zoom (ID de réunion : 884 6499 4407, code secret : 187535)
Pour acheter le support de cours pour L'essence de l'enseignement, rendez-vous ici.
Envie d'en savoir plus ? Toutes les informations sur le programme 2022-2023 sont en ligne ici.
Et pour nous contacter, il suffit de répondre à cet e-mail.
Perpignan, samedi 22 octobre : journée de l'Inde à Baixas
L'association occitane Amics catalans of South India organise chaque année un festival de l'Inde à Baixas près de Perpignan.
Cette année, l'association fête ses 15 années d'existence. À cette occasion, Bhūgītā présentera le chemin de vie védique, ou comment les différentes étapes de notre existence nous amènent à la connaissance de soi.
Le programme de la journée — fr.calameo.com
Puja, chant védique, expositions, concerts, yoga... et bien sûr la conférence sur le chemin de vie védique avec à 10h15, après le pūja.
À très vite :)
Sophie