Une réflexion sur le désir et la réalisation du Soi
Oṃ !
Les séances questions-réponses de la semaine écoulée et les réactions aux extraits de nos lettres sur Facebook mettent en exergue quelques sujets essentiels pour comprendre la Bhagavad-gītā.
Voici les pistes de réflexion de l'advaïta védanta, la non-dualité sur la notion de désir.
Le désir et la réalisation du Soi
Lorsqu'Arjuna demande à Śrī Kṛṣṇa ce qui caractérise l'être réalisé, la réponse (au verset 55 du chapitre 2) est sans ambiguïté :
प्रजहाति यदा कामान्सर्वान्पार्थ मनोगतान् |
आत्मन्येवात्मना तुष्टः स्थितप्रज्ञस्तदोच्यते ||
prajahāti yadā kāmān sarvān pārtha manogatān
ātmanyevātmanā tuṣṭaḥ sthitaprajñastadocyate
पार्थ, pārtha, ô Arjuna ! Ce n'est que प्रजहाति यदा कामान्सर्वान्, prajahāti yadā kāmān sarvān, lorsque tous les désirs ont été abandonnés, मनोगतान्, manogatān, au niveau mental – c'est-à-dire :
lorsque le détachement a atteint sa plus pure expression,
lorsque les attirances et répulsions ne gouvernent plus l'aspirant·e spirituel·le,
lorsque cette personne a mis l'ensemble de son existence, de ses actions mentales et physiques au service de l'ordre cosmique/la vie/Īśvara/Dieu,
lorsqu'elle a totalement abandonné les actions purement égoïstes,
etc.
... et que cet être est आत्मन्येवात्मना तुष्टः, ātmanyevātmanā tuṣṭaḥ, satisfait dans le Soi et par le Soi (uniquement), c'est-à-dire qu'il ne dépend :
d'aucun objet,
d'aucune situation,
d'aucune relation,
d'aucun état mental, émotionnel, énergétique ni physique,
d'aucun accomplissement,
d'aucune action,
d'aucune expérience,
etc.,
... स्थितप्रज्ञस्तदोच्यते, sthitaprajñastadocyate, qu'il est dit fermement établi dans la connaissance, c'est-à-dire qu'il a atteint la réalisation du Soi, la libération, l'éveil, l'illumination (tous synonymes dans notre pensée).
La libération est la libération de nos limitations, la libération des cycles de plaisirs et peines qu'entraîne la conscience de notre incomplétude physique et mentale : la libération du désir qui nous tenaille sans relâche.
Mais s'il était facile de concevoir le désir comme un obstacle, nous serions un peu plus nombreux·ses sur l'ardu sentier de la libération... En fait, il faut beaucoup de réflexion et de maturité pour reconnaître que :
la joie et la satisfaction sont possibles si le désir ne nous gouverne pas ;
la joie et la satisfaction sont même plus probables si le désir ne nous gouverne pas ;
le désir est un obstacle au bonheur et au bien-être ;
le désir n'est ni porteur de sens ni de valeurs ;
l'absence de désir est synonyme de libération.
Pas convaincu·e ?
Je te propose de relire tout le texte ci-dessus en remplaçant « désir » par « frustration » ou « contrariété ».
Parce que le désir est toujours associé à un certain degré d'inconfort.
Parce qu'un désir n'est jamais totalement satisfait.
Parce qu'un désir en cache toujours un autre ; à un désir succède toujours un autre.
Parce que le désir nous taraude sans répit.
Parce que le désir est le rejet de ce qui est ici et maintenant dans sa plénitude absolue.
Le désir est une projection née de la non-acceptation de l'instant présent ; le désir est le voile d'ignorance qui cache à nos yeux la perfection de l'existence.
Il est difficile de reconnaître l'obstacle que représente le désir parce qu'il suit le même schéma que l'addiction. Nous sommes toutes et tous drogué·e·s au désir : nous éprouvons de la contrariété → nous agissons pour l'apaiser → cela nous procure un apaisement → nous enregistrons que cette expérience a été ressentie comme bénéfique → nous en ressentons le désir → nous agissons → soulagement → enregistrement, etc.
Ou : काम, kāma, désir → कर्म, karma, action → भोग, bhoga, plaisir → संस्कार, saṃskāra, impression → काम, kāma, désir → कर्म, karma, action, etc.
Dans l'état de dépendance qui est le nôtre, nous avons besoin d'accéder à nos désirs pour retrouver, de manière éphémère et insatisfaisante, notre état naturel : ce que nous percevons comme plaisir n'est que le bref éclair de la félicité qui est notre véritable nature, ब्रह्मानन्द, brahmānanda, lorsque, l'espace d'un instant, nous ne sommes pas torturé·e·s par le désir.
Il suffirait pourtant de se sevrer pour retrouver notre état normal de félicité.
Mais encore faut-il reconnaître le problème.
Pourquoi ne pas simplement rester dans ce cycle ?
Si l'on s'y trouve bien, après tout, pourquoi pas. La libération n'est pas pour tout le monde.
Toutefois, il est important de connaître l'engrenage du désir qui nous maintient en esclavage. Les actions motivées par un seul désir égoïste produisent un fort attachement à l'action et aux fruits de l'action. Or ni nos actions ni leur résultats ne nous appartiennent entièrement : ils sont imprévisibles, instables. Frustration garantie.
Plus l'attachement s'intensifie, plus s'épaissit l'illusion que nos actions sont toutes puissantes et que la satisfaction provient des expériences obtenues par ces actions.
Corollaire : les expériences désagréables qui, tôt ou tard, immanquablement, se manifestent dans notre vie nous procurent un sentiment d'impuissance, voire de rage contre nous-mêmes (et généralement contre autrui également) qui dégradent considérablement notre quotidien et notre rapport à nous-mêmes (et donc à autrui).
Le moment vient où ce cycle ne nous convient plus. C'est le désir de libération : le désir de se libérer du joug des désirs.
Il existe deux façons de sortir de la dépendance au désir pour connaître un bonheur et un bien-être stables et durables.
1. Un antidote à consommer tous les jours : l'action désintéressée.
La plupart de nos lettres hebdomadaires portent sur ce point : celle-ci, par exemple, ou encore celle-là, sur la notion de devoir, fondamentale pour comprendre le karma-yoga et l'action motivée par autre chose qu'un désir.
Par la pratique de l'action désintéressée, nous cultivons le détachement. Nous acquérons les qualifications nécessaires pour la connaissance du Soi.
2. La solution ultime : l'émancipation par la connaissance de Soi.
La connaissance de notre véritable nature éternelle, totale, infinie, inaliénable, la conscience-existence absolue qui contient tout l'univers est totalement libératrice.
Ayant reconnu notre véritable nature comme seule réalité et le monde comme une illusion glorieuse qui jamais ne peut nous affecter, nous pouvons vivre libre de toute entrave, fermement enraciné·e·s dans l'inébranlable et ineffable félicité du Soi.
La distinction entre désir et besoin
Nos désirs et besoins évoluent tout au long de notre vie, à l'image de notre devoir.
Par nature, le désir fait obstacle à l'accomplissement de notre devoir ; le besoin doit au contraire être satisfait pour que nous puissions accomplir ce même devoir de manière adéquate.
La manière dont ce principe s'applique varie beaucoup d'une personne à une autre, d'une période à une autre, en fonction des circonstances.
La maîtrise de soi
Il ne suffit pas de prendre de bonnes résolutions : dans un premier temps, orienter nos choix en fonction de nos devoirs exige de la maîtrise de soi. Celle-ci se traduit par les qualités suivantes :
शम, śama, la paix du mental,
दम, dama, la maîtrise des organes d'action,
उपरम, uparama : la restriction des actions à notre seul devoir (par opposition au devoir d'autrui).
Ces qualités peuvent être cultivées consciemment dans notre quotidien et sont des atouts autant pour le succès matériel, intellectuel, relationnel, etc. que spirituel.
L'équanimité
Le détachement de l'action culmine dans l'acceptation des fruits de l'action quels qu'ils soient : plaisir ou douleur, réussite ou échec, victoire ou défaite.
Là où la maîtrise de soi revient à contrôler nos réactions aux niveaux mental et physique, et à ne pas se laisser distraire, l'équanimité agit en amont : l'attitude juste face aux résultats de nos actions est une posture d'acceptation gracieuse, sans s'arroger le mérite ni se reprocher la faute de l'aboutissement ou non de nos efforts.
समत्वं योग उच्यते, samatvaṃ yoga ucyate, le yoga, c'est l'équanimité (2.48).
L'intensité de nos réactions face aux résultats de nos actions nous indique notre degré de désintéressement dans l'action, et nous permet de mesurer le chemin parcouru ou à parcourir en direction du détachement.
Des questions ? Des réclamations ?
N'hésite pas à partager tes pistes de réflexion sur cette lettre et/ou tes questions et remarques sur les trois premiers chapitres de la Bhagavad-gītā : nous pourrons les aborder dans nos cours, voire dans une prochaine lettre.
Śrī Kṛṣṇa a, quant à lui, encore quelques précisions à ajouter sur la nature de l'action : en effet, si l'action désintéressée est le moyen d'atteindre la libération, l'expérience montre que, même « après la connaissance », l'action reste possible.
Comment ? Pourquoi ? Comment le concevoir ?
Ce sont ces questions, entre autres, que nous espérons aborder au cours des semaines à venir avec le quatrième chapitre de la Bhagavad-gītā.
Les ateliers
Tattvabodha
Cycle de 25 cours sur Tattvabodha, La connaissance de la réalité, de Śri Śaṅkarācārya : les mercredis à 13h sur Zoom (ID de réunion : 892 3734 6459 ; code secret : 397445)
Ce texte intitulé La connaissance de la réalité est un manuel des concepts védiques.
Il aborde les qualifications de l'aspirant·e spirituel·le, les cinq éléments, les qualités fondamentales de la nature (guṇa) et leurs liens avec les sens et les organes d'action, les trois corps...
L'étude de ce texte permet de comprendre les grands principes du sāṃkhya, pour une vision plus subtile et approfondie du védanta, mais aussi du yoga, de l'ayurvéda et des autres sciences védiques.
La première séance a eu lieu mercredi 5 octobre, mais il sera possible de nous rejoindre en cours de route, tout au long du mois d'octobre.
Vidéo de présentation de Tattvabodha : https://youtu.be/v-8XF5JMZt0
Exemple de cours : https://youtu.be/pe14lBI9-_4
Bhagavad-gītā
Rencontres hebdomadaires autour de la Bhagavad-gītā :
mardi à 10h30 sur Zoom (ID de réunion : 896 0916 0032, code secret : 972280)
jeudi à 18h30 aux Beaux-Arts chez Yogahimsa au 22 rue Saint-Léon à Montpellier
dimanche à 18h30 sur Zoom (ID de réunion : 896 0916 0032, code secret : 972280)
Support de cours conseillé : la Bhagavad-gītā commentée par Swami Chinmayananda, publiée aux éditions Trédaniel (ISBN : 978-2-8132-2089-9).
En complément : la Bhagavad-gītā de Colette Poggi, le Mahabharata abrégé de Jean-Claude Carrière et le film du même nom réalisé avec Peter Brooke.
Upadeśa sāra
Cours sur L'essence de l'enseignement de Shri Ramana Maharshi :
lundi à 14h30 dans l'Écusson, chez les Amoureux de Candolle au 19 rue Lallemand à Montpellier
mardi à 18h30 aux Beaux-Arts chez Yogahimsa au 22 rue Saint-Léon à Montpellier
vendredi à 19h sur Zoom (ID de réunion : 884 6499 4407, code secret : 187535)
Pour acheter le support de cours pour L'essence de l'enseignement, rendez-vous ici.
Envie d'en savoir plus ? Toutes les informations sur le programme 2022-2023 sont en ligne ici.
Et pour nous contacter, il suffit de répondre à cet e-mail.
Perpignan, samedi 22 octobre : journée de l'Inde à Baixas
L'association occitane Amics catalans of South India organise chaque année un festival de l'Inde à Baixas près de Perpignan.
Cette année, l'association fête ses 15 années d'existence. À cette occasion, Bhūgītā présentera le chemin de vie védique, ou comment les différentes étapes de notre existence nous amènent à la connaissance de soi.
Le programme est disponible sur les images ci-dessus et ci-dessous.
À très vite :)
Sophie