Les qualités de l'enseignant·e spirituel·le
Oṃ !
Śrī Kṛṣṇa affirme au début du chapitre 4 de la Bhagavad-gītā avoir transmis l'enseignement de la non-dualité au Soleil lui-même à l'aube des temps. S'ensuit naturellement une question pour Arjuna : comment son ami, né à peu près à la même époque que lui, peut-il avoir donné un enseignement il y a des milliards d'années ?
Śrī Kṛṣṇa apporte un début de réponse : tout comme Arjuna, il a eu de nombreuses naissances par le passé ; Arjuna a oublié toutes ses vies antérieures, mais Śrī Kṛṣṇa, lui, en a le souvenir.
Cette réponse énigmatique soulève plusieurs autres questions. Par exemple :
Pourquoi Śrī Kṛṣṇa se souvient-il de ses précédentes existences en ce monde alors que le commun des mortels les a oubliées ?
Si le fruit de la réalisation du Soi est la fin du cycle des réincarnations, pourquoi Śrī Kṛṣṇa a-t-il plusieurs naissances ? Cela signifie-t-il qu'il ne connaît pas le Soi ? Ou bien qu'il est possible de s'incarner alors qu'on a réalisé le Soi ?
Si le principe solaire lui-même, qui se manifeste sous la forme de toutes les lumières et sources de chaleur en ce monde et qui préside à la totalité des intellects, a reçu l'enseignement la non-dualité de Śrī Kṛṣṇa, qui est vraiment Śrī Kṛṣṇa ? Quel est son statut ?
Mais pour commencer, les affirmations de Śrī Kṛṣṇa nous donnent des indices sur la nature de cet enseignement et la posture de la personne qui le transmet.
L'enseignement qui est le moyen de connaissance du Soi est désigné par le terme advaïta védanta en sanskrit ou non-dualité en français. Comme cela a été évoqué dans la dernière lettre, il transcende les époques et les lieux.
En effet, ce système philosophique nous amène à nous questionner sur la véritable nature de l'univers, et celle de celui ou celle qui le perçoit. Les textes fondateurs de ce courant, les upaniṣads, affirment même que, si nous y prêtons bien attention, nous pouvons parvenir à la conclusion que l'observateur·rice (le sujet, « moi ») et l'observé·e (le monde, la nature, « cela ») font essentiellement un – leur véritable nature est la conscience absolue.
Omniprésente, éternelle, immuable, imperceptible, la conscience absolue est à la fois le support du temps, de l'espace, de la création, et ce qui nous permet de la percevoir ; elle est indissociable de toute expérience. Omnisciente, elle se révèle par elle-même sans l'aide de l'intellect, des sens ni d'aucun moyen de connaissance.
Le rôle de l'enseignant·e – ou गुरु, guru – consiste uniquement à dissiper les ténèbres, la confusion qui nous porte à nous identifier à ce que nous ne sommes pas : les expériences physiques et mentales, notre corps, notre personnalité, nos possessions, etc. Le Soi ne se transmet pas, ne s'enseigne pas – il est déjà là, voilé seulement par l'attachement à des expériences illusoires. La démarche spirituelle consiste à lever ce voile. Une fois les fausses notions éliminées, notre véritable nature, le Soi, la conscience absolue se révèle dans toute sa splendeur.
L'enseignement de l'immuable, la connaissance du Soi, reste aussi inchangé à travers les âges : c'est pourquoi Śrī Kṛṣṇa ne revendique aucune innovation, aucune originalité dans son enseignement. C'est un gage de validité.
Śrī Śaṅkarācārya, qui nous a légué vers le VIIIe siècle les outils conceptuels qui forment aujourd'hui la base de l'enseignement védantique, développe dans son commentaire du verset 1.2.12 de la Muṇḍakopaniṣad les qualités de l'enseignant·e spirituel·le.
Sans surprise, cellui-ci doit être ब्रह्मनिष्ठ, brahmaniṣṭha, fermement établi·e dans la connaissance de sa véritable nature, c'est-a-dire avoir réalisé le Soi.
Mais surtout, iel doit être श्रोत्रिय, śrotriya, imprégné·e par l'étude systématique des textes fondateurs : c'est le premier facteur mentionné.
Ce qui est peut-être un peu étonnant, Śrī Śaṅkarācārya affirme que, s'il faut choisir entre un être réalisé et un·e érudit·e, mieux vaut se diriger vers la personne qui connaît les textes de l'advaïta védanta.
Cela peut sembler contre-intuitif, mais à y regarder de plus près, Śrī Kṛṣṇa lui-même affirme dans la Bhagavad-gītā qu'aucun signe extérieur ne permet de distinguer l'être réalisé des ignorant·e·s. En effet, quand bien même nous pouvons avoir la conviction qu'une personne a réalisé le Soi, cela ne garantit pas qu'elle peut amener des aspirant·e·s à cette même réalisation.
Pour prendre une métaphore, si nous voulons apprendre une langue étrangère, mieux vaut étudier auprès d'une personne qui sait l'enseigner plutôt qu'avec le premier locuteur ou la première locutrice natif·ve dont on croise le chemin – à plus forte raison s'il n'y a aucun moyen de vérifier qu'iel parle bien la langue que nous souhaitons apprendre...
Toutefois, la fréquentation des sages – comme celle des autochtones dans l'apprentissage d'une langue – est d'un grand soutien.
On ajoute généralement un critère important pour le choix de l'enseignant·e : cellui-ci doit être अकामहत, akāmahata, libre de tout égoïsme, a minima dans sa démarche de transmission.
Cet enseignement radicalement émancipateur est absolument incompatible avec toute forme d'attachement de la part du ou de la disciple, et donc de possibilité d'emprise morale ou matérielle de la part de l'enseignant·e.
Śrī Kṛṣṇa est l'incarnation la plus pure de ces trois qualités, et il va justement nous révéler pourquoi dans les prochains versets.
Ayant précisé au verset 5 qu'il connaît ses précédentes incarnations, et qu'il n'est donc pas un être humain ordinaire, Śrī Kṛṣṇa poursuit et révèle sa réelle identité au verset 6 :
अजोऽपि सन्नव्ययात्मा भूतानामीश्वरोऽपि सन् |
प्रकृतिं स्वामधिष्ठाय सम्भवाम्यात्ममायया ||
ajo’pi sannavyayātmā bhūtānām īśvaro’pi san
prakṛitiṃ svām adhiṣhṭhāya sambhavāmyātma-māyayā
« Bien qu'étant en réalité libre de toute naissance, le Soi immuable et le seigneur de tous les êtres vivants, par ma propre puissance, je prends existence. »
Comment comprendre ce verset ?
Y trouvons-nous les réponses aux questions posées plus haut ?
Si, comme il le laisse entendre, Śrī Kṛṣṇa est l'incarnation du divin, pourquoi a-t-il pris cette forme humaine ?
Pourquoi ce choix d'une vie en apparence si ordinaire que son proche ami Arjuna ne voie jusqu'alors pas en lui Dieu sur Terre ?
Les prochains ateliers...
Tous les horaires : bhugita.com/ateliers
Exceptionnellement, il n'y aura pas de cours en ligne vendredi 9 décembre.
L'organisation des deux dernières semaines de l'année sera déterminée avec chaque groupe en fonction des disponibilités des participant·e·s.
Atelier mantras et non-dualité samedi 26 novembre
Un chemin de vie lumineux : la spiritualité au fil des différents âges
Cet atelier sera l'occasion d'explorer la façon dont les Védas décrivent les différents âges de la vie. Nous allons notamment réfléchir aux différentes manières pour nous d'incarner nos idéaux et à l'évolution de nos priorités au fil du temps.
Dans la continuité de ces échanges, nous analyserons et apprendrons ce célèbre mantra de la Muṇḍakopaniṣad sur le thème de la lumière, qui est un support de méditation. Il sera expliqué mot par mot et l’accent sera mis sur la prononciation juste.
Enfin, nous prendrons un temps d’échanges sur la non-dualité (advaïta védanta) à la lumière des enseignements védiques que nous aurons abordés.
Tarif libre à partir de 15 € (pas de minimum pour les étudiant·e·s, personnes précaires, etc.).
Lieu : Espace Akashik, 3 ter rue des pins, quartier Gambetta à Montpellier
Date et heure : 16h à 18h samedi 26 novembre
À très vite :)
Sophie