Oṃ !
Meilleurs vœux en cette nouvelle année ! Puisse notre vision de soi et du monde continuer de devenir de plus en plus lumineuse et nos paroles réchauffer les cœurs comme les rayons de l’astre autour duquel nous tournons encore et encore apportent la vie sur Terre !
2023 fut une année très riche pour Bhūgītā, entre une intensification des cours hebdomadaires au premier semestre, un premier weekend consacré à la Bhagavad-gītā au centre Zero Gravity de La Ciotat, le Shanti Festival en Cévennes et une formation de deux mois (pūjās et havans) dans le Kérala, en Inde, sur les lieux où probablement naquit Śrī Śaṅkarācārya, auteur de Tattvabodha et du commentaire sur la Bhagavad-gītā… et les aventures continuent (voir notre programme à la fin de cette lettre).
Ces projets ayant nécessité beaucoup de ressources, nos lettres se sont faites plus rares. Il est maintenant temps d’y remédier !
Les versets 36 à 38 du chapitre 4 de la Bhagavad-gītā
Notre dernière lettre sur le chapitre 4, parue fin mai 2023, concluait la description de différentes pratiques spirituelles avec des indications pour approcher un·e enseignant·e dans les règles de l’art (verset 34) et la vision du monde de l’être réalisé (verset 35).
Cette structure reflète le cheminement vers la libération : les pratiques spirituelles, symbolisées par le sacrifice, adviennent avant l’étude des textes (en trois étapes : écoute, réflexion et contemplation), pour aboutir à l’état ultime, duquel il est impossible de replonger dans la souffrance, et à la vision de tous les êtres en soi et en Śrī Kṛṣṇa – la réalisation de notre unité avec la totalité de l’univers et l’intelligence qui y préside.
La puissance de cet enseignement est telle qu’Arjuna n’a pas à redouter les terribles conséquences de la guerre sur son avenir, qu’il avait décrites avec crainte aux chapitres 1 et 2 :
अपि चेदसि पापेभ्यः सर्वेभ्यः पापकृत्तमः |
सर्वं ज्ञानप्लवेनैव वृजिनं सन्तरिष्यसि ||api ced asi pāpebhyaḥ sarvebhyaḥ pāpakṛittamaḥ
sarvaṃ jñāna-plavenaiva vṛjinaṃ santariṣyasi (36)« Quand bien même tu étais le pire de tous les pécheur, tu traverseras la totalité des péchés par la barque de la connaissance. »
N’est-ce pas un peu facile – étudier le védanta pour se dédouaner de tous nos actes de violence ?
Le propos est ici plus complexe.
Premièrement, la notion même de पाप, pāpa, péché indique que ce verset s’adresse à une personne qui a un sens du devoir aigu. En effet, sans boussole intérieure, nous restons dans l’ignorance ou l’indifférence face à tout manquement de notre part. Ainsi, le désir d’échapper au péché révèle un caractère droit, et non une culpabilité de fait. Pour reformuler, une personne qui se complairait dans la violence n’y verrait pas de mal et n’aspirerait pas à être libérée des conséquences ; ce verset et cet enseignement s’adressent donc à une personne qui aspire à l’harmonie.
Deuxièmement, le « péché » védique a deux dimensions :
Dans la doctrine du karma et de la réincarnation, les actes contraires à notre dharma (l’action qui s’impose à moi compte tenu de la situation dans la quelle je me trouve et de mes aptitudes) produisent des expériences désagréables, voire un séjour dans l’un des multiples champs d’expérience infernaux. Il s’agit donc de les éviter au profit des actes conformes à notre dharma, qui produisent des पुण्य, puṇya, mérites, pour éviter la souffrance et obtenir le bonheur.
Notons ici que, le dharma étant fluctuant, ce qui constitue un péché varie selon les personnes et leur situation.
Dans la quête d’éveil, la notion de péché désigne les obstacles intérieurs et extérieurs qui se dressent entre nous et la libération : attachement, problèmes de santé, précarité, etc. Toutefois, les plus grands succès matériels peuvent également constituer des obstacles dans la vie spirituelle. Une grande maison, une famille nombreuse, d’importantes responsabilités professionnelles… nous contentent parfois ; alors que, comme on s’en rend souvent compte au moment d’une transition de vie, le malheur a au moins cela de bon qu’il peut renforcer notre aspiration à la paix intérieure, et par là notre lien avec le divin.
« Le plus grand des pécheurs » peut donc être compris comme celui ou celle qui est dans une souffrance extrême ; ou pour qui l’unité avec le divin est inconcevable.
La puissance de la connaissance est révélée ici en ce qu’elle permet à chacun·e de traverser les douleurs les plus indicibles et, quand bien même nous lui serions complètement aliéné·e·s, retrouver notre nature infinie.
Enfin, avec ce verset, Śrī Kṛṣṇa évoque la mansuétude du divin et la grandeur de cet enseignement. Chacun·e, dans sa nature essentielle, est la conscience pure ; le Soi est la nature essentielle de tous les êtres. Et tou·te·s peuvent parvenir à l’union avec l’infini qu’iels sont déjà et ont toujours été. Pour la personne qui atteint la connaissance de sa véritable nature, qui qu’elle soit, quoi qu’on ait dit ou pensé d’elle, quoi qu’elle ait fait ou subi, il n’y a plus une trace de souffrance.
Par ailleurs, lorsque nous sommes dans la barque, c’est-à-dire dès que nous commençons à aborder ces enseignements avec sincérité, la souffrance nous atteint moins. À force de persévérance, nous parvenons à comprendre que nous ne sommes pas, ne pouvons pas être ce corps ni ce mental, sièges de tant de souffrance. Notre conception de « soi » s’élargit pour englober tous les êtres ; incapable d’égoïsme, l’être réalisé ne commet aucune faute ni aucune violence. La barque l’a amené·e jusqu’à la terre ferme, l’établissement dans sa véritable nature, la félicité pure, immaculée.
Śrī Kṛṣṇa ne se contente pas d’affirmer que la connaissance permet de traverser l’océan de la souffrance et de l’aliénation ; car il nous en explique le mécanisme au verset suivant :
यथैधांसि समिद्धोऽग्निर्भस्मसात्कुरुतेऽर्जुन |
ज्ञानाग्निः सर्वकर्माणि भस्मसात्कुरुते तथा ||yathaidhānsi samiddho’gnir bhasmasāt kurute’rjuna
jñānāgniḥ sarva-karmāṇi bhasmasāt kurute tathā (37)« De la même manière que le feu vif réduit en cendres le combustible, le feu de la connaissance réduit en cendres toutes les actions. »
La réalisation du Soi détruit d’un même coup l’action et ses conséquences. À condition, bien sûr, que le bois soit suffisamment sec et le feu bien attisé, c’est-à-dire que nos actions soient propices à notre évolution et que nous consacrions les ressources nécessaires à la quête de la connaissance.
Alors, nous découvrons qu’agir est le propre du corps et du mental ; et que les fruits des actions, les expériences, se vivent exclusivement au niveau du corps et du mental.
Dans la conscience pure, homogène, hors du temps et de l’espace, il n’y a ni altérité ni altération, et donc aucune action ni expérience possible. Lorsque comprenons que ce qui en nous dit, ou plutôt sous-tend, « je » est libre de toute modification, de tout conditionnement, de toute limite, nous réalisons du même coup qu’aucune action ni expérience n’a jamais été possible pour nous ni ne le sera jamais. Le véritable « je » n’agit pas, et ne subit pas ; « je » brille, dans la félicité éternelle, immuable, immaculée.
Ainsi, de la même manière que ce n’est pas par le bois qu’est consumé le bois mais par la flamme, un élément fondamentalement différent, ce n’est pas par l’action que nous venons à bout de la souffrance et de l’errance, mais par la connaissance, la lumière universelle. Śrī Kṛṣṇa conclut justement ainsi ce passage au verset suivant :
न हि ज्ञानेन सदृशं पवित्रमिह विद्यते |
तत्स्वयं योगसंसिद्धः कालेनात्मनि विन्दति ||na hi jñānena sadṛśaṃ pavitramiha vidyate
tatsvayaṃ yogasaṃsiddhaḥ kālenātmani vindati (38)« Il est certain qu’il n’y a point en ce monde de purificateur égal à la connaissance. Celui qui a atteint la perfection dans le yoga le constate après quelque temps. »
Reprenons ici une image traditionnelle : un brasier est allumé et nous utilisons un bâton pour disposer tous les morceaux de bois afin qu’ils brûlent complètement. Lorsque les flammes sont à leur apogée, nous jetons ce bâton dans le feu afin qu’il soit consumé à son tour.
De la même manière, l’aspirant·e spirituel·le agit dans le monde de manière à affiner et concentrer son mental, acquérir une bonne maîtrise de soi au niveau du corps et des sens, et créer des conditions propices à l’établissement dans le Soi. Mais l’action contient les graines de l’action : en agissant, nous semons de futures expériences, qui nous imposeront d’agir à leur tour.
En dernière instance, lorsque l’aspirant·e spirituel·le a atteint la connaissance, iel abandonne l’identification au mental, qui jusque là était un instrument indispensable. Alors seulement la réalisation du Soi est possible ; le mental a permis de purifier les actions, mais la connaissance seule les élimine totalement, définitivement – lorsque nous réalisons que ce mental est une apparence dans la conscience immuable, il n’y a plus d’identification possible à un être agissant.
Le yoga, ici l’action désintéressée et les pratiques spirituelles, nous révèle combien une action en appelle une autre, et, bien qu’absolument nécessaire, ne permet jamais de sortir tout à fait du cycle des expériences et actions. Ayant atteint la perfection dans le désintéressement et la concentration, nous pouvons à travers la connaissance réaliser notre véritable nature et nous y établir – alors, nous traversons définitivement l’océan des expériences et tous nos agissements se trouvent consumés à jamais.
Prochains rendez-vous
Tattvabodha, la connaissance de la réalité de Śrī Śaṅkarācārya
Les principes fondamentaux de l’advaïta védanta
Trois rendez-vous en présentiel au centre Zero Gravity pour acquérir et approfondir les fondements de la pensée védique : les 16 et 17 mars, 13 et 14 avril, 25 et 26 mai 2024. Informations et inscriptions ici.
Ou en ligne sur Zoom (rendez-vous ici pour recevoir les informations de connexion) : les vendredis à 13h à partir du 2 février.
Deux vidéos sur Tattvabodha sont accessibles librement : une présentation (10 minutes) et un extrait de cours sur la doctrine du karma (1h23). Pour en savoir plus, le texte traduit et commenté en français peut être commandé ici ou ici.
La Bhagavad-gītā
En ligne sur Zoom (rendez-vous ici pour recevoir les informations de connexion) :
- les dimanches de 18h à 19h15
- les mardis de 10h15 à 11h30
À Montpellier : les jeudis de 18h30 à 19h45 chez Yogahimsa, 22 rue Saint-Léon aux Beaux-Arts. Si des personnes le souhaitent, un horaire supplémentaire peut être proposé.
Ātmābhodhā, La connaissance de soi/du Soi de Śrī Śaṅkarācārya
Pour l’instant exclusivement à Montpellier, chez Les amoureux de Candolle au 19 rue Lallemand dans l’Écusson, dès la dernière semaine de février (dates à reconfirmer) :
les lundis de 16h à 17h15,
les mardis ou mercredis à 18h30
L’ouvrage est disponible ici.
Un horaire en ligne pourra être proposé ultérieurement, me contacter pour davantage d’informations :)
Au plaisir de vous retrouver bientôt !
Chaleureusement,
Sophie
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