Oṃ !
Là où nous situons l’expression de nos valeurs, de nos aspirations, de la liberté individuelle, le pilier de notre identité (« l’action ») – c’est là précisément que les sages voient l’éternelle immobilité du Soi libre de tout attribut (« l’inaction »).
Ayant atteint tout ce qui peut être atteint, obtenu tout ce qui peut être obtenu, connu tout ce qui peut être connu, la personne qui a la connaissance est libre de désirs et d’aspirations ; l’insécurité et l’insatisfaction ne la poussent plus à agir.
Dans certains cas, dotée d’une grande maîtrise d’elle-même, elle choisit de s’abstenir de toutes les actions. Dans ce cas, la personne continue toutefois de faire le nécessaire pour le strict entretien du corps. En effet, les actions indispensables à la survie du corps étant dictées par l’intelligence cosmique, elles se poursuivent même après la dissolution de l’illusoire individualité : ce ne sont pas des « actions » dans le sens de la Bhagavad-gītā (c’est-à-dire nées de l’identification erronée à un « je » limité).
Abandonnant toute possession et ambition, l’être réalisé qui s’abstient d’agir reste absorbé dans ce qui est (verset 21).
Pour autant, le détachement vis-a-vis de ses possessions, en tant que pratique spirituelle, n’est pas réservé aux seules renonçant·e·s. En effet, l’être réalisé, qui est un modèle pour les chercheur·euse·s de vérité, ne vit pas nécessairement dans le dénuement matériel. Le renoncement se situe à un autre niveau, considérablement plus important, que Śrī Kṛṣṇa va développer jusqu’au verset 34.
समत्वं योग उच्यते, samatvaṃ yoga ucyate, le yoga, c’est l’équanimité (2.48)
Étant établi dans sa véritable nature libre de toute dualité, l’être réalisé n’est pas affecté par les polarités inhérentes au mental et au corps, telles que le chaud et le froid, le succès et l’échec, l’acquisition et la perte : il est pure équanimité, éternellement satisfait. La jalousie, la compétition et l’avidité sont inexistantes pour celle ou celui qui a réalisé la nature non agissante de l’être, et ni l’action, ni l’inaction ni leurs conséquences ne peuvent jamais l’affecter (verset 22).
Śrī Kṛṣṇa poursuit au verset 23 : si les actions de celle ou celui qui est libre d’attachements, émancipé·e et dont le mental est établi dans la connaissance sont entièrement dissoutes, c’est parce qu’à travers la connaissance de son être naturellement équanime, iel a coupé toutes les entraves qui lea liaient à la souffrance et le limitaient.
En surface, iel semble bien agir ! Mais intérieurement s’effectue une transmutation salvatrice – nous faisons une fois encore appel à la notion védique de sacrifice, longuement développée au chapitre 3 comme métaphore de l’action.
Au cours des versets suivants, cette comparaison est développée pour évoquer comment toute multiplicité se fond dans l’ultime réalité pour l’être réalisé.
ब्रह्मार्पणं ब्रह्म हविर्ब्रह्माग्नौ ब्रह्मणा हुतम् |
ब्रह्मैव तेन गन्तव्यं ब्रह्मकर्मसमाधिना ||
brahmārpaṇaṃ brahmahavir brahmāgnau brahmaṇā hutam
brahmaiva tena gantavyaṃ brahma-karma-samādhinā
« La louche est la réalité absolue, la conscience, le véritable « je », Brahman ; l’offrande (sur l’image : le beurre clarifié) est Brahman, versé dans Brahman, le feu, par Brahman, le prêtre. Brahman seul est atteint par celui qui est absorbé en Brahman même dans l’action. »
L’advaïta védanta est souvent décrit comme un système philosophique ; mais il se définit lui-même davantage comme un moyen de connaissance. De la même manière que seuls nos yeux nous révèlent la couleur des objets, seul l’advaïta védanta nous dévoile notre véritable nature libre de tout conditionnement, existence, conscience et félicité pures et illimitées. Il s’agit donc d’un système dynamique, et une même affirmation apparaît tour à tour vraie et fausse selon le stade auquel nous nous trouvons.
Ainsi, la première étape consiste à reconnaître l’existence-conscience pure qui illumine notre expérience à tous les instants. À ce stade, la perception du monde est considérée comme purement illusoire, antinomique de Brahman.
Cette étape, et les pratiques spirituelles permettant de discerner parfaitement notre véritable nature de l’illusion, est indispensable. विवेक, viveka, le discernement est en effet la racine de वैराग्य, vairāgya, le détachement ; réalisant que tout ce qui avait du sens à mes yeux – mes ambitions, mes expériences, jusqu’à mon identité – n’est qu’un vaste mirage, c’est sans hésiter que je cherche à m’installer fermement dans ce qui est, dans ce que je suis véritablement.
L’attachement n’est possible que s’il y a dualité ; si j’ai des attachements, c’est autant de signes que je suis embourbé·e dans l’illusion d’un monde pluriel.
L’advaïta védanta m’invite donc à reconnaître que je ne suis que conscience, que le monde n’est que conscience ; que, de surcroît, la conscience est unique et infinie.
Infinie ?
Oui ! Quand bien même l’expérience est illusoire, elle ne limite pas l’existence-conscience absolue, pas plus que le mirage ne limite l’immensité du désert. Le sable est le support du mirage, il est omniprésent dans le mirage : si nous examinons attentivement le mirage, nous trouverons du sable…
De la même manière, si nous examinons à la lumière de l’advaïta védanta chaque objet – pensée, expérience, personne –, nous trouvons existence-conscience-félicité pures et illimitées ; nous trouvons notre véritable nature, le « je » incompressible, au-delà du temps et de l’espace, support de l’univers.
Les actions de la personne qui, ayant réalisé son être véritable, voit le Soi partout et est libre de toute dualité, sont donc des actes d’adoration du Soi, dans le Soi et par le Soi – ses actions sont dissoutes comme les offrandes dans le feu et elle n’agit donc jamais vraiment.
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Sophie
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