Oṃ !
Śrī Kṛṣṇa nous révèle que, quelle que soit la façon dont on l’approche, il répond par la réciproque : pour chaque pas que nous faisons en direction de l’intelligence cosmique – en essayant de l’appréhender avec notre intellect, par exemple –, celle-ci en fait trois en notre direction – fulgurances, visions, émotions spontanées… C’est ce que nous appelons la grâce.
Or, connaître le divin, c’est réaliser la véritable nature de l’univers et donc notre véritable nature ; c’est atteindre la félicité absolue.
Que demander de plus ?
Pourtant, constate Śrī Kṛṣṇa au verset 12 du chapitre 4 de la Bhagavad-gītā, la plupart d’entre nous avons de tout autres préoccupations – nous poursuivons des objectifs à court terme, dans une recherche de plaisir éphémère et généralement sensuel. Ainsi, plutôt que chercher Dieu, nous sacrifions notre temps et notre énergie aux autels de dieux limités comme l’argent et le succès, afin de satisfaire nos désirs en ce bas monde. Cela semble nous suffire… pour un temps.
Cette approche montre ses limites par exemple dans le cas d’Arjuna qui, dans le conflit qui l’oppose à ses proches, se trouve contraint à un acte qu’il réprouve, une lutte à mort avec les membres de son clan : quand bien même il remporterait la victoire, comment pourrait-il trouver le bonheur et la paix ?
La réponse ne se fait pas attendre. Dès le verset 13, son ami Śrī Kṛṣṇa aborde le cœur du sujet du chapitre 4, le renoncement à l’action à travers la connaissance.
En effet, l’avatar Śrī Kṛṣṇa s’exprime ici au nom de l’intelligence cosmique. Il est à la fois le principe sous-jacent des lois de la nature comme la causalité, la cause intelligente de la création, et la source, l’origine même de cette création, sa cause matérielle.
En d’autres termes, Śrī Kṛṣṇa est immanent au monde, jusque dans ses manifestations les plus infimes. Ainsi, toutes les actions effectuées par tous les êtres, du brin d’herbe au créateur la divinité Brahmā, s’effectuent en Śrī Kṛṣṇa, à travers lui, par lui.
Nous avons beau considérer comme évident que nous sommes les auteur·e·s de nos actions, force est de constater que nous n’avons créé ni le corps ni l’intellect par lesquels nous agissons. Nous revendiquons comme nôtres jusqu’aux phénomènes physiologiques qui sont totalement en dehors de notre contrôle : réflexes, respiration, toux, digestion, etc., alors même que nous les subissons. En réalité, toute action qui se manifeste à travers notre corps et notre mental n’est possible que grâce au divin.
Śrī Kṛṣṇa, en tant que cause matérielle et intelligente de l’univers, est donc intimement impliqué dans toutes les actions du cosmos.
Et pourtant, dans le même souffle, Śrī Kṛṣṇa affirme :
« Bien que j’aie créé la société avec la répartition des tâches en fonction du tempérament de chacun·e, connais-moi comme libre de toute action et de toute division ».
Pourquoi Bhagavān Śrī Kṛṣṇa se déclare-t-il à la fois créateur et non-agissant ? Pourquoi tenir un discours contradictoire ?
Il poursuit au verset 14 :
« Les actions ne m’affectent pas, pas plus que leurs résultats ne me touchent. Celui qui me connaît sous ce jour n’est pas entravé par l’action. »
Il convient de préciser que, dans la doctrine du karma, toute expérience, à commencer par le corps dont nous héritons à la conception et la famille dans laquelle nous naissons, est le fruit d’actions passées. L’action (कर्म, karma) et ses fruits (कर्मफल, karma-phala) composent donc la totalité de la condition humaine.
Śrī Kṛṣṇa attire ici notre attention sur le lien entre notre attachement à l’action et notre attachement aux fruits de l’action. En effet, plus je considère que mon individualité est le facteur déterminant dans mes choix, plus les conséquences de ces choix m’affecteront ; plus je suis affecté·e par les expériences, plus je m’identifie à ma puissance d’action.
En sanskrit, कर्ता, kartā, est l’agent·e, l’auteur·e de l’action ; भोक्ता, bhoktā, est le/la consommateur·rice du fruit de l’action ; ce sont les deux faces de l’égo, qui est tour à tour agissant et subissant.
Être libre de l’action signifie donc nécessairement être libre des expériences, quelles qu’elles soient – la libération !
Reste à comprendre comment la réalisation de la nature non agissante et non subissante de Śrī Kṛṣṇa peut nous permettre d’atteindre ce même degré de liberté.
Avec le paradoxe du verset 13, Śrī Kṛṣṇa indique une fois de plus son identité multiple ; plus spécifiquement, il est certes la conscience qui préside à l’ensemble du manifesté et du non-manifesté (Dieu), mais surtout, il est la réalité absolue – existence, conscience et félicité pures, dans lesquelles l’univers est une illusion éphémère à l’image du film projeté sur un écran de cinéma.
En tant que Dieu, Śrī Kṛṣṇa est associé à l’action (voir les paragraphes précédant le verset 13) ; mais en tant que brahman, la réalité absolue, il n’est pas plus affecté par l’action et ses fruits que l’écran n’est taché par les événements du film, ni le miroir par les couleurs qu’il reflète.
Or, comme l’a évoqué Śrī Kṛṣṇa au verset 9, le reconnaître pour ce qu’il est véritablement, la réalité absolue, revient à réaliser notre véritable nature : s’établir en Dieu, c’est s’établir dans le Soi… et donc n’être plus entravé·e par l’action ni ses fruits, par une identité agissante et subissante.
Arjuna désire justement atteindre cette libération, c’est la raison pour laquelle il souhaite renoncer à l’action et se faire moine. Tout le discours de Srī Kṛṣṇa a pour fonction de le ramener à une conception plus juste de l’action.
Il poursuit au le verset 15 :
« C’est en se concevant comme non agissant·e·s et non subissant·e·s que les ancien·ne·s accomplissaient leurs actions, donc accomplis aussi ton devoir, comme les ancien·ne·s à des époques reculées. »
Invoquant une longue lignée de sages qui étaient dans l’action sans que celle-ci ne les affecte, Śrī Kṛṣṇa montre à Arjuna que le renoncement n’implique pas d’abandonner son devoir. Cette confusion est en effet fort répandue (verset 16) :
« Même les sages se demandent ce qu’est l’action et l’inaction. Je vais donc t’enseigner la nature de l’action, et lorsque tu la connaîtras, tu en seras libéré. »
Alors que nous nous définissons par nos actions, identifions les autres par leurs actions – et leurs fruits –, et réfléchissons (plus ou moins) aux bonnes actions à entreprendre, il est très rare pour nous de nous pencher sur la nature de l’action. Or selon Śrī Kṛṣṇa, cette démarche est fondamentale pour dépasser les limitations imposées par notre faible puissance d’action et les expériences qui se succèdent inéluctablement.
L’importance de ce point est soulignée au verset 17 :
« Il y a quelque chose à savoir concernant les actions prescrites, les actions interdites, ainsi que l’inaction. Les voies de l’action sont impénétrables. »
Quel est donc ce secret que même les sages ignorent et qui constitue la clef de la libération ?
Ce sont les sujets que nous aborderons lors des prochains cours et dans nos prochaines lettres.
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À très vite :)
Sophie
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