Oṃ !
Dans notre lettre précédente, nous évoquions la nécessité absolue dans laquelle nous nous trouvons de dégager un sens des événements de la vie.
Lorsqu’on a goûté, par exemple à la faveur d’un séjour en Inde, la ferveur humble et puissante des personnes pour lesquelles le divin est une expérience de tous les instants, lorsqu’on comprend comment cela imprègne leur regard sur le monde, il est difficile de ne pas faire de lien entre la déchéance de la symbolique religieuse et l’augmentation des taux de dépression et d’anxiété dans nos pays.
Pour mieux comprendre cette évolution, au lieu de répéter ce qu’on peut lire ailleurs – notamment que Dieu serait mort –, demandons-nous plutôt ce que Dieu représente pour les croyant·e·s.
Nous avons tendance à nous concevoir comme incomplets et incomplètes, contraint·e·s à chercher une complémentarité à l’extérieur : le nécessaire pour couvrir nos besoins fondamentaux de nourriture et de chaleur, bien sûr, mais aussi l’amour, la droiture et la vertu, la reconnaissance, le succès, l’argent, la beauté, la jeunesse, la longévité, etc.
Pour la personne qui croit en Dieu, et qui a une véritable réflexion sur sa nature omniprésente, omnisciente, créatrice de l’univers, toutes les expériences sont des cadeaux du divin. Dans ce cas, comme cela a déjà été décrit, tout ce qui nous complète vient de Dieu ; par définition, Dieu est ce qui nous complète.
Toutefois, la plupart d’entre nous n’en sommes pas à ce stade avancé de dévotion et d’abandon au divin. Même si nous croyons peut-être en Dieu, il est probable que nous le concevions comme irrémédiablement éloigné de nous et de nos problèmes multiples et variés. Dans tous les cas, croyant·e·s ou non, nous nous concentrons donc sur ce qui est a priori le plus proche de nous, le plus atteignable : l’argent pour la sécurité, du temps libre pour le plaisir, la carrière et la famille pour l’accomplissement de soi, etc.
L’argent, le temps libre, la carrière, la famille… nous paraissent proches et concrets. Pourtant, à y regarder de plus près, personne n’a jamais vu l’argent (on peut tout au plus voir de la monnaie ou des chèques), le temps libre, la carrière, la famille. Qu’est-ce qui fait qu’une personne ou une autre, dont nous sommes plus ou moins proche biologiquement, élicite en nous cette notion de famille ?
Ce sont des constructions, qui donnent un sens à nos actions : nous sommes prêt·e·s à faire des sacrifices pour notre famille (ou pour l’argent, le temps libre, la carrière, etc.) que nous ne consentirions pas pour d’autres causes. Ces principes sont abstraits mais porteurs de sens : ils donnent à nos actions une dimension extraordinaire au-delà du matériel, des phénomènes physiques.
En d’autres mots, ce sont nos dieux et déesses.
Prenons un autre exemple : la retraite.
Abstraite et pourtant proche de chacun·e d’entre nous, la retraite a d’importantes ramifications. Elle contribue à donner un sens au travail. Elle focalise de nombreuses aspirations, que nous le voulions ou non. Elle entretient un étroit rapport avec d’autres grands principes qui organisent notre quotidien : le travail, la qualité de vie, le temps. Elle participe à notre projet de vie.
Notre rapport à la retraite est incontestablement matériel, à travers les contributions que nous payons pour qu’elle existe ou, pour les retraité·e·s, ses versements, mais aussi affectif. Nous entretenons avec elle un lien vital !
Et nous sommes prêt·e·s à faire d’importants sacrifices pour la voir se manifester dans nos vies – des sacrifices en termes de conditions de travail et de vie, de santé, d’épanouissement professionnel, de temps en famille, ou encore à travers de coûteuses grèves et un engagement politique de parfois risqué.
Nous désirons la voir se manifester dans nos vies et ne pouvons supporter d’en être encore plus séparé·e·s. Nous attendons ses bénédictions et déplorons le sort de celleux qui sont parti·e·s avant de la connaître.
Les débats de l’époque que nous traversons le mettent en lumière : la retraite est omniprésente dans nos vies. Elle nous complète, vient adoucir la souffrance du présent et apaiser nos angoisses à propos de l’avenir, et nous lui faisons des offrandes à la hauteur de ce qu’elle symbolise pour nous.
Par exemple, je connais une personne qui s’épuise physiquement et psychiquement, car elle fait des heures supplémentaires pour avoir le salaire la plus élevé possible et obtenir une belle retraite dans quelques années. Cette personne ressent un manque intense que la retraite vient combler, et les sacrifices lui viennent donc naturellement.
Et vous, qu’est-ce qui vous manque ? Pour quoi seriez-vous prêt·e à vous épuiser ? Aux autels de quel·le·s dieux et déesses sacrifiez-vous vos actions ?
Les différents objectifs qui nous animent convergent dans une soif insatiable, dans un désir de complétude, un appétit d’infini. Lorsque nous réalisons que cette quête est celle de la réalisation du Soi, que cet infini est la nature du divin, alors tous nos sacrifices sont dirigés vers ce seul et unique but, ou, en d’autres termes, offerts à ce seul et unique Dieu qui sous-tend l’univers et préside aux différent·e·s déesses et dieux tels que la retraite.
Réalisées avec la notion que leur finalité ultime est la libération (et non un gain en ce monde), nos actions deviennent des pratiques spirituelles – des actions les plus infimes comme la respiration, aux grands actes de nos vies comme le fait de fonder une famille. C’est alors que nous devenons des sacrificateurs et sacrificatrices (Bhagavad-gītā, chapitre 4, verset 30).
Ces sacrifices, comme toute action, produisent des résultats. Pour la personne qui agit sans désir des fruits, avec uniquement le désir de l’absolu, ce sont comme les offrandes qui restent à la fin d’un rituel ; en les consommant, c’est-à-dire en traversant les expériences du quotidien, nous restons empli·e·s de gratitude, l’esprit tourné vers l’absolu.
Pour continuer sur notre exemple, la personne qui a travaillé toute sa vie avec désintéressement reçoit ensuite sa retraite avec grâce, plutôt que comme un dû ; elle se sent libre plutôt que contrainte. La personne qui, avant de commencer sa journée, rend grâce à Dieu, et lui offre toutes ses actions à venir et leurs résultats, traverse le quotidien en présence du divin.
Ces personnes-là seules sont aptes à atteindre la réalité absolue ! déclare Śrī Kṛṣṇa au verset 31. Car uniquement en étant dans le don de soi pouvons-nous obtenir quoi que ce soit de notable en ce monde, et à plus forte raison dans les autres plans d’existence.
Mais le désintéressement est-il la clef de la libération ? Suffit-il de la vouloir et d’agir en ce sens pour l’atteindre ?
Śrī Kṛṣṇa précise ce point dans les versets suivants, que nous aborderons dans une prochaine lettre sur le chapitre 4 de la Bhagavad-gītā.
Les prochains ateliers...
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Inde à partir du 12 août 2023 : formation aux rituels védiques et à la bhakti en Inde auprès de Swami Sharadananda (Chinmaya Mission) ici. Pour me soutenir dans ce projet, rendez-vous ici.
À très vite :)
Sophie
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